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Jeroen Bosch (vers 1450-1516), Montée des Bienheureux vers lempyrée. Venise, Palais Ducal |
De nos jours, après quelques siècles de développement des sciences, lidée dune vie après la mort est difficilement imaginable. Pourtant, chaque année, le retour de Pâques rappelle aux chrétiens le caractère essentiel de la Résurrection. Dieu est le dieu de la vie et non de la mort. À Pâques naît lhomme nouveau et authentique.
« Ressusciter » traduit deux verbes grecs : egeirô (séveiller), et anistêmi (se lever), qui correspondent à des actions bien plus banales quune résurrection, mais dont le sens peut éclairer notre compréhension. Lorsque le langage courant utilise le mot « ressuscité » pour quelquun qui repart vers une nouvelle vie après des épreuves, il y a continuité avec la vie davant et ce ressuscité-là néchappera pas à la mort. La résurrection du Christ est dun autre ordre. Après Pâques il ne retourne pas à la vie ordinaire ; son corps est réel, mais différent, « surnaturel », il apparaît et disparaît. Sa présence a un caractère qui étonne.
La réflexion théologique sur la Résurrection propose une interprétation physique (la résurrection, comme lincarnation, sinscrit dans la matérialité la plus banale), et une interprétation symbolique (la réalité de la résurrection néquivaut pas à sa matérialité). La richesse et la complexité du message pascal sont telles quil faut, pour avancer dans sa découverte, se mettre à lécoute de différents langages : théologique, philosophique, historique, symbolique, artistique
Cest ce à quoi nous invitent les quatre articles de notre dossier.
Lhistoire de Jésus ne finit pas avec sa mort. Elle commence à nouveau avec sa résurrection. Pourtant, lévénement de la résurrection de Jésus dentre les morts, sa vie et son règne éternels, échappent à la science historique. Ce que lhistoire peut saisir, on le sait, cest, tout au plus, la foi des premiers témoins en cet événement déconcertant.
Les disciples passent du doute à la conviction
Mais la netteté du message de Pâques Jésus Christ est ressuscité transmis par différents témoins, entre en tension avec ce que le théologien allemand G. Bornkamm appelle « lambiguïté et le caractère problématique des récits de Pâques, du point de vue historique » (Qui est Jésus de Nazareth ?, traduction française 1973).
Anonyme (Hohenbergh?) : Le Christ en gloire sur un tas de foin. Eau-forte, XVIe siècle
Il suffit en effet de comparer les récits des évangiles (Marc 16, Matthieu 28, Luc 24, et Jean 20 et 21) avec les apparitions du Ressuscité énumérées par Paul au chapitre 15 de la première lettre aux Corinthiens (15,3-5), qui nont pas laissé de traces dans les évangiles, pour sen convaincre. Et réciproquement : Paul ignore les femmes au tombeau ou les disciples dEmmaüs. Quant aux récits évangéliques, ils diffèrent considérablement, dans des détails significatifs.
Fermeté et clarté du message pascal, caractère problématique de la mise en forme narrative : ce peut être la première étape dune réflexion sur Pâques.
La deuxième semble conduire à un autre paradoxe.
Le Ressuscité des morts, appelé comme tel sans hésitation, est, apparemment, confessé par de bien étranges témoins, si lon en croit les récits évangéliques.
Contrairement à ce quen pense Faust « ils fêtent la résurrection du Seigneur car ils sont eux-mêmes ressuscités » (cité par Bornkamm), au matin de Pâques, les témoins, vaincus par la tristesse et trahis dans leur espérance, sont comme morts. Et cest bien plus tard quils entreront dans la joie de Pâques.
Pour que les lecteurs, dhier et daujourdhui, ne soient pas tentés de se glisser dans la peau de ces fragiles témoins et de réagir comme eux, prisonniers quils sont du raisonnement raisonnable celui qui est mort est bien mort les rédacteurs des récits font donner les forces célestes en la personne dun ange. Lenvoyé spécial de Dieu parle avec fermeté : « Ne vous effrayez pas. Cest Jésus de Nazareth que vous cherchez, le crucifié ; il est ressuscité, il nest pas ici. Voici le lieu où on lavait placé. » (Mc 16,6) « Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant ? » (Lc 24,5)
Lange ne réussit pas son coup, du premier coup. Le ressuscité lui-même, disent les récits, doit donner de sa personne et va à la rencontre des uns et des autres et même des unes.
Succès mitigé : femmes angoissées, disciples apeurés ou fortement sceptiques : laisse-moi voir tes blessures et tes trous.
Enfin et enfin seulement, vient, après la peine, la conviction : « Cest bien vrai, le Seigneur est ressuscité. » (Lc 24,34)
Comme quoi, lévénement de Pâques, pour central quil soit dans lexpression de la foi chrétienne, na pas immédiatement rallié les suffrages des premiers intéressés. Que dire de nous et de nos convictions intermittentes, vingt siècles après
Mais Paul est plus assuré
Heureusement, il y a Paul qui ny va pas par quatre chemins : « Si le Christ nest pas ressuscité alors notre prédication est vide, vide aussi notre foi. Et il se trouve même que nous sommes de faux témoins de Dieu, puisque nous avons attesté contre Dieu quil a ressuscité le Christ alors quil ne la pas ressuscité. » (1 Co 15,14-15) Si Christ nest pas ressuscité « mangeons et buvons car demain nous mourrons. » (15,32) Mais pour nous, affirme-t-il, « le Christ est ressuscité des morts, prémices de ceux qui se sont endormis. » (15,20)
Bilan de ce petit parcours textuel : des hommes et des femmes ont été témoins dun événement peu croyable un maître mort et ressuscité dentre les morts mais pas sans mal ni sans violence faite à leurs sens (la vision, louïe, le toucher, la saveur même quand ils mangent les poissons grillés sur la plage). A quoi il faut ajouter le témoignage de Paul, victime sidérée dun éblouissement vivifiant, sursignifié par une parole à lui personnellement adressée par le Maître et Seigneur ressuscité.
Ces témoins et ces témoignages ont franchi les frontières, le temps et lhistoire, par oral puis par écrit. De siècle en siècle, dinterprétations en interprétations, de vies transformées en témoignages engagés, la parole a parcouru le monde jusquà aujourdhui : Celui que lon croit mort est ressuscité, prémices de toutes nos résurrections.
Le sens de la résurrection pour moi, aujourdhui
Et moi, lointaine descendante de ces premiers témoins, me voici tenue de préciser ce que ressusciter veut dire, en ces temps troublés comme le sont tous les temps des humains.
Je nai jamais eu beaucoup dappétence pour les résurrections « poétiques », je veux parler de ces variations, souvent magnifiques, sur le thème : apprendre à ressusciter aujourdhui, dans nos vies présentes. Je ne nie pas avoir été moi-même témoin de vies transformées et je nai pas hésité à dire, avec dautres : « Cest une véritable résurrection. » Cest vrai que tout passage dun état de vie marqué par la souffrance, le malheur, le tragique, à la guérison, à la joie retrouvée, aux forces renouvelées, peut être parabole de la Résurrection du Christ, promise à toutes et à tous.
Ce faisant, jindique et je témoigne quil sagit là de signes annonciateurs, déléments visibles dune réalité invisible et promise.
Mais pour moi, ces signes ne prennent signification que par ce qui les leste de sens : cest parce quune résurrection, pleine et entière plénière en quelque sorte mattend ainsi que toute lhumanité passée, présente et à venir, que je peux discerner dans chaque vie et la mienne, furtivement ou ostensiblement, des traces de résurrections partielles. Nous pouvons vivre de petites résurrections bienfaisantes parce quelles sont filles de la Résurrection de Jésus.
Comme il y a une corinthienne qui sommeille en moi, jaimerais, parfois, avoir réponse à des questions simples : comment les morts ressuscitent-ils ? Avec quels corps reviennent-ils ? (1 Co 15,35) Est-ce quon ressuscite dès sa mort ? Et comment Dieu fait-il pour ressusciter les milliards dhumains (sans parler des animaux et des plantes) déjà morts ? Et tous ceux à venir ?
Questions sans réponse et peut-être, à la limite, sans intérêt ni sens. Paul na pas tort qui guide le questionneur sur dautres pistes. Il parle de corps spirituel, dêtre incorruptible, de transformation. Et limage poétique du son de la trompette finale qui commandera la transformation générale me convient, surtout lorsquelle est mise en musique par Haendel dans son « Messie » : « the trumpet shall sound and the dead shall be raised incorruptible » chantée par une belle voix de basse.
La Résurrection anéantit la mort
Les limites de mon cerveau sont atteintes : je ne sais pas « comment » mais je sais « que », comme Job lexprime : « Je sais que mon Rédempteur (Défenseur) est vivant et quil se tiendra au dernier jour sur la terre Cest bien dans ma chair que je contemplerai Dieu. » (19,25-26)
Certains disent leur crainte que lespérance dune vraie vie, après la mort, démobilise pour la vie daujourdhui. Je nen crois rien. Il me semble quavoir lassurance que toute vie et toute la vie, sont placées « sous les yeux éternels du bon regard de Dieu » pour les tirer vers leur potentiel le meilleur et non vers la barbarie, peut au contraire donner force et courage pour shumaniser davantage et participer à lhumanisation des humains.
Que dit Pâques ? Il est ressuscité. La mort est vaincue. Ô mort, où est ta victoire ?
Il mapparaît que pour quiconque sinterroge sur labsurdité dune vie scellée par sa destruction, proche ou lointaine, et cherche un peu de vérité et de pardon pour vivre, le message de Pâques que portent les chrétiens, vaut le détour et, qui sait, le voyage.
Un voyage qui nentraîne pas forcément sur des routes parallèles, protégées des orages et des naufrages de la vie mais qui, au rythme de chacun, fait avancer, au fil des jours, avec moins dangoisse et de désespérance au cur.
Lhôpital nous renvoie, comme un miroir, un certain visage de lhomme. Cest un miroir grossissant et, dans son reflet, on peut découvrir quelques traits caractéristiques de lhomme envisagé par notre société. Acteur et victime denjeux économiques et des jeux de pouvoir, assujetti au pouvoir de séduction des prouesses techniques entre la fascination et lhorreur. Déçu par la promesse non tenue dun monde meilleur sans souffrance et sans maladie, mais toujours habité, malgré le démenti infligé par la réalité, par une volonté de maîtrise imaginaire de la vie, du début à la fin enfin de la vie réduite à celle du corps. Car la vie, le vivant, en retrait des images, est sans doute bien autre chose que le bon fonctionnement des organes, même si leur silence est signe de santé.
Aldo Rossi (architecte milanais, 1931-1999), Maison des Morts au cimetière San Cataldo de Modena (1971-1978). Ce cube composé de 4 murs percés dinombrables fenêtres, sans toit, symbolisait pour larchitecte un lieu pour le passage de la mort à la vie. Photo DR.
Lhôpital est un lieu de passage. Passage possible dune image à une autre. Passage obligé pour la plupart dentre nous (70 % des Français y passent les dernières heures de leur vie). Passage de la maladie à la santé, on y soigne de plus en plus efficacement, les corps surtout. Si certains y recouvrent la santé, dautres, parfois les mêmes, y retrouvent la vie.
Retrouver la vie. Seul, le sujet concerné par lépreuve peut évoquer en ces termes et dans laprès coup, ce passage-là. Les mots ordinaires sont rarement suffisants pour en rendre compte. Cest précisément dans la vie autrement retrouvée quelle sauthentifie en se donnant à voir par ses effets vivants.
Je ne peux ici évoquer ce passage quavec prudence, de la place du témoin. On connaît les effets provoqués par des discours théologiques valorisant pour tous la souffrance et lépreuve. Communément, mis à part la question des complicités avec la mort, sous-jacentes dans ces discours, la souffrance quon supporte le mieux cest toujours celle des autres.
Lâcher prise et risquer de disparaître
Dans la crise de la maladie grave nous sommes démunis, seffondre autour de nous ce qui semblait le plus solide. Nous sommes dépossédés de nous-même, nous sommes privés de ce qui jusque-là, nous faisait vivre, on devient « autre ». La phrase typique « je ne me reconnais plus » vient illustrer ces bouleversements multiples. Des phénomènes de régression sont fréquents. Ils nous transposent, nous et notre corps, dans lexpérience de la chair à des moments archaïques où se sont noués nos rapports avec les autres : sentiment ou expérience dabandon ou de présence attentive, voire trop attentive. Se rejouent dans la crise dune façon singulière les premières expériences de langage, parfois dans la plainte inarticulée.
Au commencement de chaque existence, après avoir reçu la vie du corps biologique, une autre expérience sera de recevoir dun autre, pour devenir humain, des mots qui nous sont adressés. Ces mots seront reçus, avec leur musique, leur prosodie, leurs intentions, et le monde de signification qui les accompagnent. Ils vont signifier pour nous et marquer notre expérience jusquau plus profond de notre chair. Nous deviendrons un être humain parlant et selon la façon dont nous avons été dabord parlés, un vivant possible. Pour certains, devenir vivant nest pas une évidence, un point de départ assuré comme la vie biologique. Ce qui est à luvre à leur insu est marqué par lenfouissement de la part vivante bien avant la mort biologique. Pour la plupart dentre nous, le jeu est plus subtil, mais rend souvent obscur ce qui est vraiment vivant.
Au cours dun passage à lhôpital, au moment de lépreuve, certains confient que ce sur quoi ils avaient fondé leur existence seffondre. Les images auxquelles ils sidentifiaient savèrent nêtre que des mirages. Le risque est évidemment que la personne disparaisse avec elles.
Puis re-lier les mots et la chair pour retrouver une nouvelle vie
Pour ceux qui entourent une personne malade au moment dun possible passage, les raisonnements et les paroles bonnes, raisonnables, trop souvent prodiguées ne sont quillusion, elles ne trompent dailleurs que celui qui les prononce. Souvent, inconsciemment, elles soutiennent les images qui seffondrent chez lautre mais auxquelles on adhère encore. Cest pourquoi cette place est difficile à tenir, elle est souvent désertée. Elle met trop à lépreuve par les figures de la mort quelle contient.
Mais la vie, même menacée, sy connaît pour percevoir ce qui est vivant. Et cest avant tout cela quil est possible dentendre et de soutenir. Quand le corps est atteint dans lépreuve portée à un point de régression archaïque, des liaisons anciennes entre les mots et la chair peuvent se délier pour se nouer dune façon nouvelle. Lexpérience vivante en accord avec la vie qui est en nous peut faire effet de vérité, on peut alors sessayer à de nouveaux arrangements avec la vie. Quand la vie vacille, si lécoutant en écho nest pas perdu dans les méandres de sa propre histoire, sil écoute du côté de la vie, il peut soutenir ce qui reprend vie dans la chair dune façon nouvelle.
Auprès de celui qui traverse cette épreuve, un témoin, dans les deux sens du terme, peut être présent à cette place impossible et pourtant envisageable. Témoin des effets de vie chez celui quil rencontre. Témoin en lui-même des effets de vie, éveillés dans lécoute dun autre témoin par la reconnaissance de la part vivante quil porte en lui. Cet autre là, qui la écouté comme cela, la lui-même reçue dun autre avant lui référé à un autre visage de lhomme. Dans ce sens, on peut croire que ce passage est possible, et comprendre que reprendre vie dans sa chair est envisageable.
Rédemption au Rédempteur
Quelques considérations sur un Drame Sacré le parcours initiatique de Parsifal
Illustration pour Parsifal extraite de 15 Bilder zu R.Wagners Bühnenweihfestspiel von Franz Stassen, B. Behrs Verlag, Berlin-Leipzig
Voici Pâques, voici le printemps de retour. La nature sétait endormie sous le froid et dans la nuit dhiver. Elle séveille dans sa magnificence. Et notre année liturgique évoque cet enfouissement et ce surgissement en célébrant la mort et la résurrection de Jésus au moment de Pâques.
Cette mort, cette résurrection constituent dans le christianisme des thèmes spirituels dune infinie signification, dune grande richesse théologique. Nombre dartistes ont évoqué la mort, la résurrection de Jésus. Ainsi, voici 120 ans, Richard Wagner créa une vision complexe et puissante du thème de Pâques à partir du mythe du Graal et de la rédemption.
Je me propose dévoquer ici quelques aspects de cette oeuvre admirable, en indiquant quil sagit dun ouvrage fort complexe, dont je laisserai de côté nombre de thèmes.
De la légende du Graal à Parsifal
Wagner sest inspiré des légendes celtiques du cycle de la Table Ronde, mais il les a complètement remodelées, leur conférant un poids spirituel puissant. Le Saint Graal, dans la légende, était le vase sacré où Joseph dArimathée avait recueilli le sang du Christ. Wagner relate le parcours initiatique et spirituel dun innocent, sans racine, ni filiation, Parsifal, qui découvre le mystère du Saint Graal, dont le sang quil contient constitue la nourriture spirituelle des chevaliers qui le gardent. Il découvre ce mystère et sa vocation le jour du Vendredi Saint, jour béni, admirablement évoqué.
Le sang du Graal, nourriture sacrée des chevaliers, est présenté, distribué aux chevaliers quil régénère, par leur chef, et cette cérémonie évoque beaucoup la Sainte Cène : « Prenez mon sang, prenez mon corps, en mémoire de moi. Prenez ce vin, transmutez le avec audace, en sang ardent de vie Bienheureux dans la foi, bienheureux dans lamour. » Nest-ce pas étonnant ? Dailleurs Wagner ne considérait pas Parsifal, sa dernière oeuvre, comme un opéra, mais comme un « drame sacré », en allemand : ein Bühnenweihfestspiel, ce qui signifie, mot à mot : un festival scénique sacré. Et la tradition, voulue par le maître, prévoit encore aujourdhui quon napplaudisse pas à la fin de lévocation de la célébration du Graal, à la fin de la cérémonie. Comme lors dune célébration religieuse.
Tout homme peut devenir rédempteur
Le héros, Parsifal, parcourt le monde en décomposition et ses épreuves. Le sang du monde est corrompu et ne donne plus la vie. Cest, selon une expression qui pourrait être paulinienne, un monde de mort. Aussi le rôle du noble héros consiste à communier et à faire communier au sang du Christ, pour transmettre la vie. Cest dans cette optique que se situe cette parole étonnante que jai citée en tête de cet article : « Rédemption au Rédempteur » qui conclut louvrage. Étonnante, confondante parole. Ces mots peuvent paraître énigmatiques. Parsifal montre ainsi que la régénération de lhomme est une lutte de tous les instants. Chaque homme peut devenir rédempteur, se sauvant ainsi lui-même, dès lors quil accomplit la loi damour. Le Christ est certes la figure la plus belle et la plus achevée du rédempteur, en quelque sorte limage référentielle. Mais il nest pas interdit de penser que dautres doivent venir après lui. On ne peut identifier le Christ avec Parsifal. Parsifal lui-même est devenu rédempteur dans le sillage du Christ parce que toute rédemption se situe dans le temps et que la régénération du temps est continuelle.
Il me semble quon peut trouver dans cette conception de la rédemption continue une prémonition des « phénomènes christiques » de la Process Theology.
Une vision sereine du christianisme
Mais nallons pas déformer la pensée de Wagner à ce sujet. Ce compositeur ne se rattachait pas à une Église spécifique. Ce nétait pas un théologien ni un philosophe, mais un artiste très sensitif, qui utilisait les matériaux du christianisme, mais pouvait les transformer profondément. Pour lui, art et religion étaient étroitement liés, comme expression de notre essence profonde.
Wagner nous dévoile la divinité sur le fond tragique du monde. Il dégage dune conception tragique de lêtre une vision sereine du christianisme. Lhomme incomplet, dégénéré, garde cependant lespoir du salut. La faute originelle elle-même est en quelque sorte un événement heureux dans la mesure où elle promet la rédemption, la venue, pour la laver, du fils de Dieu. On ne manquera pas de penser au felix culpa (« heureuse faute ») de Saint Augustin
Je voudrais terminer cette évocation de Parsifal par le passage qui est peut-être le plus émouvant : Parsifal reçoit la révélation de sa mission le jour du Vendredi Saint, à midi au milieu des fleurs qui éclosent. Et cest « lenchantement du Vendredi Saint » dont voici un passage :
« Du pécheur repentant ce sont les larmes qui, en ce jour, humectent prés et bois, et les font reverdir. Toute la création se réjouit et suit la trace aimée du Sauveur, lui vouant ses prières. Le Crucifié, elle ne peut le voir, elle regarde alors les hommes rachetés, libérés de leffroi du fardeau des péchés. Purifiée, sauvée, par lamour dun Dieu qui simmole La nature, sauvée de tout péché, acquiert ainsi son jour dinnocence. »
Cest Pâques, cest la joie de Pâques pour tout homme sauvé.
Descente aux limbes. Fresque de labside du paraecclesion de léglise du Christ-Sauveur-in-Chora à Constantinople (Istanbul)
Le calendrier des fêtes chrétiennes, appelé année liturgique , commence avec lAvent. Linstitution de ce temps (période de quatre dimanches précédant Noël) nest bien établie quau VIe-VIIe siècles en Occident (Rome). Une question se pose alors : lAvent est-il un bon choix pour illustrer le début de lannée liturgique et le dimanche de Pâques ne serait-il pas préférable ? Quatre arguments militent pour la fête de Pâques.
Argument historique
La première et seule fête chrétienne pendant deux siècles a été celle de Pâques. Contrairement à ce que laisse supposer lAvent, cest donc à partir de Pâques que lon a développé, et, surtout, compris, un calendrier chrétien et non à partir de Noël, fête tardive, dailleurs définitivement fixée au 25 décembre au VIe siècle seulement. Pâques jouit ainsi dune précédence et par là déjà dune priorité.
Argument biblique
Les récits de la naissance et de lenfance de Jésus, généralement reconnus comme fortement légendaires, ne se trouvent que chez Matthieu et Luc. En revanche, les quatre évangélistes et Paul accordent une place centrale à la Croix. LAvent occupe donc une place seconde et même secondaire dans le Nouveau Testament. Sous prétexte que les récits de Noël ne figurent pas chez Marc ou Jean, pourrait-on prétendre quils ont écrit un évangile incomplet ? Dailleurs, même les pages relatives à lenfance de Jésus sont déjà orientées vers la Passion ; la Crèche et la Croix étant ainsi finalement taillées dans le même bois. De toute façon, si on navait pas, dabord, cru à la résurrection de Jésus (quelles quen soient les modalités), rien naurait été écrit sur lui et, dans un certain sens, spirituel (à bien des égards le plus important), Pâques précède ainsi la naissance, la vie et la mort de Jésus.
Argument de la foi
Pâques représente une vérité inaugurale et centrale pour la foi chrétienne, oriente les textes tels quils ont été rédigés dans le Nouveau Testament. Ce caractère capital de la foi au Ressuscité, cette conviction que Jésus est vivant et nest pas simplement, pour nous, un grand mort, nous oblige à ne pas confondre avec Pâques ce qui appartient à la vie de Jésus, qui commence avec lAvent (le temps de sa conception) et se termine à sa mort. Pâques est dun autre ordre ; cest le sens de la Croix, cest un appel à un je crois et non pas à un seul je sais .
Argument pédagogique
On reconnaît aujourdhui que les évangiles sont des témoignages de foi et non des biographies, terriblement lacunaires et incomplètes, de Jésus. Commencer lannée liturgique avec lAvent nous fait cheminer, dans une chronologie douteuse, de la naissance à la mort de Jésus et nous fait prendre lEvangile pour ce quil nest pas et ne veut pas être, à savoir une histoire et une vie de Jésus. Lannée liturgique devrait commencer à Pâques. Tout se joue là. Tout sarrête-t-il en effet à la mort de Jésus ? Non, lhistoire du christianisme et de la foi au Christ vivant commence bel et bien un matin de Pâques. Le temps de lAvent, comme introduction à lannée liturgique, a pour lui lappui dune institution établie et dune longue tradition, certes. Mais rien nempêche, dans notre esprit et notre cur, de considérer que toutes les fêtes chrétiennes gravitent autour de Pâques, comme la Terre tourne en un an autour du soleil.
Voir aussi : L. Gagnebin, Pour un christianisme en fêtes, Éd. Église réformée de la Bastille, 1996. 15,24 € (distr. Van Dieren).
Le surgissement dune vie autre
Après sa résurrection, Jésus ne revient pas à son existence passée. Il apparaît et disparaît, il se manifeste et séloigne de manière toujours mystérieuse. Certes, les évangiles insistent fortement sur la réalité de la résurrection. Le ressuscité nest pas un fantôme inconsistant ; son apparition ne relève pas dune illusion ou dune hallucination quexpliquerait quelque phénomène psychique. Il parle, il mange et boit. On peut le voir, sapprocher de lui ; on trouve son tombeau vide. Historiques ou non, ces indications entendent souligner quil ne sagit pas dun mirage. Toutefois, les évangiles mettent encore plus laccent sur la transformation intervenue. Ses disciples ont de la peine à reconnaître Jésus. Marie-Madeleine dans le jardin le prend dabord pour le jardinier. Les voyageurs dEmmaüs qui cheminent et mangent avec lui ne découvrent quaprès-coup qui était leur compagnon. Les disciples qui pêchent dans la mer de Galilée ne voient pas tout de suite à qui ils ont affaire. Dans ces trois cas, cest par la parole, quand il se met à parler, quon identifie le Christ : doù lidée que le ressuscité se manifeste par et dans la prédication. Le ressuscité échappe aux lois et aux limitations humaines : il entre dans une pièce dont les portes sont fermées. Il naura plus à mourir. Après sa résurrection, sa personne change de statut et sa présence a un caractère différent.
André Gounelle, Parler du Christ, Éd. van Dieren, p. 69-70
Une humanité nouvelle
La résurrection du Christ ne constitue pas seulement une guérison qui permet le retour à la vie physique habituelle. [ ] Elle représente quelque chose de très différent : le surgissement dans notre monde dune forme de vie nouvelle et originale qui vient de Dieu et qui dépasse nos possibilités naturelles. [ ] Cette vie ressuscitée est ouverte et offerte à ses disciples qui, dans la foi, commencent à y entrer ; elle fait deux des êtres nouveaux. [ ] Elle ne supprime ni ne supplante lhumanité telle quelle existait sous une forme déficiente ; elle la modifie, la métamorphose ou, plus exactement, met en route un processus de transformation créatrice. [ ] Pâques marque un commencement, inaugure une deuxième genèse, met en route une création neuve. Comme la première genèse a transformé un chaos en cosmos, la nouvelle création fait passer lêtre humain du désordre et de la dislocation à lharmonie ; elle le conduit de laliénation qui lempêche dêtre lui-même à lauthenticité où il émerge à sa vérité.
André Gounelle, ibid.
Ressusciter, un événement permanent
On peut dire que Jésus ressuscite bien avant le matin de Pâques, non pas seulement à la fin de sa vie terrestre, mais au commencement de son ministère. Il ressuscite quand il se met à prêcher, à guérir et à proclamer lÉvangile. Il sest éveillé à la vérité, nous ne savons ni quand ni comment et peu nous importe. Il se lève pour la répandre et permettre à dautres dy accéder. La résurrection ne se borne pas à un moment particulier de son parcours. Elle ne se réduit pas à un fait ponctuel. [ ] Pâques manifeste ou exprime dans un moment unique ce qui caractérise lensemble de son activité. De même pour le croyant, la résurrection ne se produit pas après son décès, mais commence dès maintenant. Nous ressuscitons, au sens littéral, chaque matin quand nous sortons de notre lit. Nous ressuscitons, au sens fort, chaque fois que nous nous éveillons à la vérité et que nous nous dressons pour mener une vie authentiquement humaine. La résurrection sexpérimente ou plutôt elle opère ici-bas et dans le présent. Ce qui nexclut évidemment pas quelle concerne également lau-delà et notre sort final. On retrouve la dualité du quotidien (la résurrection se vit tous les jours) et du spécifique (elle est un événement hors du commun).
André Gounelle, ibid.
Leffectivité de la résurrection
Pour éviter un spiritualisme déviant vers lévanescence, point nest besoin daffirmer la réalité physique de la résurrection du Christ. Cette question ne me paraît pas aussi décisive que certains le pensent. Elle ne le devient que si on est imprégné, en général à son insu, de ce positivisme plat et pauvre pour qui seul ce quon touche est vrai et digne de foi. LÉvangile de Jean suggère, au contraire, de dissocier le vrai du palpable. « Ne me touche pas », dit le Christ ressuscité à Marie Madeleine (20,17) et [ ] sans condamner le désir, bien normal et naturel, de Thomas, lÉvangile de Jean entend indiquer que la foi ne dépend pas de ce que les sens constatent (20,24-29). [ ] Leffectivité de la résurrection néquivaut pas à sa matérialité. Elle se situe à un autre niveau. La résurrection de Jésus est historique en ce quelle change et continue à changer lhistoire. Elle est réelle non pas parce quelle est tangible, mais dans la mesure où elle agit sur la réalité et la modifie en faisant naître en nous une nouvelle créature et en implantant dans notre monde une nouvelle création. [ ] Les récits bibliques, sils insistent sur la signification et les conséquences de Pâques, ne permettent pas, en revanche, de se faire une idée de ce qui sest passé. Cela vaut sans doute mieux. Comme lécrit M. Bouttier, il ne sagit pas de « croire en arrière » en scrutant les origines et en essayant de déterrer les racines, mais de « croire en avant » en sattachant aux fruits, et en se laissant emporter par le dynamisme créateur de la vie nouvelle.
André Gounelle, ibid.
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Numéro 176 |
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