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Affiche du Seigneur des Anneaux |
Cette forme visuelle a une grande importance car limage a un pouvoir fascinant qui réduit les possibilités dinterprétation, et rend le récit très « réel ». Le spectateur est confronté à une histoire qui devient la sienne, et qui suscite fortement son émotion. La possibilité de recul est bien moindre quavec un conte oral, ou un livre, un écrit, puisque limagination na presque plus de place. La « bande son » accroît encore cette dépendance, par des suggestions dambiance que le spectateur subit et dont il est prisonnier.
Le cinéma trouve des racines à laube de lhumanité, et ces origines lointaines peuvent expliquer pourquoi il a toujours été associé aux mythes, auxquels il emprunte des sources dinspiration. Mais le cinéma est aussi un art de lâge de la technique, qui a transformé la relation du spectateur à lhistoire.
Lassociation « Pro-Fil », dinspiration protestante, fondée en 1992 par le pasteur Jean Domon, sest donnée pour but de « promouvoir, comme témoins de notre temps, les films dont la qualité artistique et humaine aide à la connaissance du monde contemporain ».
Trois de ses membres, Jean Domon, Jean Lods et Waltraud Verlaguet,
présentent dans ce cahier la mythologie et les mythes avant
dexplorer sous cet aspect trois films récents ayant
eu un grand succès : « Le seigneur des anneaux »,
« Matrix », et « Rois et reine ». La passion
de nos contemporains pour les épopées mythiques au
cinéma nest-elle pas le signe dun vide existentiel,
dun questionnement sur les origines, lavenir, le bien
et le mal ?
Marie-Noële et Jean-Luc Duchêne
Divers anthropologues constatent actuellement dans nos sociétés occidentales un retour, sinon du religieux, du moins dun goût grandissant pour les épopées mythologiques. La rationalisation de la pensée, linvasion dun matérialisme réducteur provoquent chez nos contemporains lévasion vers limaginaire, la magie des origines ou les mystères du futur. Or, déclare lun deux : « Nous avons besoin de mythes pour rester des hommes. » Et quel medium plus idéal et plus accessible à tous que le cinéma pour échapper à sa condition quotidienne ? Le septième Art na cessé, avec ses moyens propres, de développer tout un trésor dimages et de rêves et de rendre visible et audible ce qui habite le plus secret de notre inconscient : les fameux archétypes de C. G. Jung.
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Cest curieusement aujourdhui limmense fonds mythologique scandinave qui a envahi nos écrans avec Le Seigneur des Anneaux ou Harry Potter. Mais on constate aussi une attirance toujours vivace pour les mythes grecs avec des uvres sans doute plus élitistes comme Tirésia (Bertrand Bonello) ou Rois et Reine. On sait également la fascination quexercent sur les adolescents des uvres aussi monumentales que La Guerre des étoiles ou Matrix. Tous les auteurs de ces films ne cachent pas leur intention de faire surgir un nouvel univers de références littéraires et mythiques à partir dun large brassage de tout ce que limagination des hommes a inventé.
Ce qui caractérise notre époque cest la rapidité avec laquelle circule toute création artistique aux limites de la planète et le métissage culturel généralisé. À ceci sajoute chez nous lextinction grandissante des références chrétiennes et la méconnaissance du corpus biblique. Tous ces paramètres favorisent et même instaurent sciemment chez les créateurs ce qui constitue en fait un élément fondamental du mythe : sa totale capacité dadaptation et de transformation. Un mythe nest ni une illusion ni une image figée, cest une force vivante qui circule au cur de nos civilisations, riche de leur histoire multiséculaire et sans cesse modifié à lépreuve de la réalité. Voilà pourquoi R. R. Tolkien, lauteur du Seigneur des anneaux, a délibérément pillé le trésor des légendes celtes et germaniques pour offrir à ses concitoyens britanniques une mythologie créative. Et le générique du film qui sen est inspiré souvre sur ces mots : « Au début, il y avait lHistoire, puis lHistoire devint légende pour se transformer en Mythe. »
Le cinéaste Georges Lucas, de son côté, dit avoir cherché son inspiration de La Guerre des étoiles dans les écrits de Joseph Campbell (Les héros sont éternels ; Puissance du mythe) mais aussi chez Carlos Castaneda, Otto Rank, Jung et dautres encore. Quant aux frères Wachovski, ils disent sêtre inspirés pour Matrix de toutes les traditions culturelles et religieuses du monde.
Est-il trop impudent de penser que de telles créations refondent chez ceux qui sen nourrissent une nouvelle spiritualité, originale et fortement syncrétiste ? Faut-il sinquiéter de ces sagas mythologiques qui supplantent notre univers biblique ? Ou se réjouir au contraire de cette richesse poétique qui renouvelle notre perception des grands systèmes de pensée universels ? Et plus encore tirer profit de ces occasions qui nous sont données dentrer en dialogue avec nos contemporains sur la façon dont aujourdhui on peut se poser les questions de la foi, du divin, de la lutte contre le Mal, du courage de vivre et daimer ?
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La résurgence des mythologies dans le cinéma récent surprend. Elle enchante certains, inquiète dautres. Elle pose en tout cas la question de sa signification. Serait-elle à relier à cette nouvelle quête de spiritualité, ce « besoin religieux » dont on parle tant ?
Avant de réfléchir au statut du mythe dans le cinéma, voyons ce quest au juste un mythe et comment il a été appréhendé par le christianisme avant le cinéma.
Un mythe quest-ce que cest ?
Tout dabord, un mythe raconte une histoire. De cette histoire à peu près tout le monde est persuadé quelle ne sest pas passée comme ça mais que, pourtant, elle fait sens, autrement que lhistoire des faits, et autrement quune simple fiction. Forme de pensée pré-rationnelle pour les uns (Lévi-Strauss), structure profonde de notre vie psychique pour dautres (Jung), tous saccordent à relier le mythe à la question du sens. Sens caché auquel laccès direct est barré, comme pour Freud pour qui le mythe met en intrigue la sublimation du refoulé Freud qui crée son propre mythe avec le meurtre primitif du père, et qui en reprend un autre de la mythologie grecque, celui ddipe, pour en faire le nud central de lévolution du petit de lhomme. Singulière destinée pour une histoire ancienne, ce qui confirme que le mythe seul est capable de permettre une gestion du « numineux » (Otto, Eliade), de tout ce qui, dans notre vie ou « au-delà », fascine ou terrifie.
Des mythes racontent des histoires qui se jouent aux temps primordiaux pour « expliquer » le monde qui nous entoure et le pourquoi de nos actions et qui, de ce fait, nous permettent dagir de façon sensée.
Un mythe est donc une conceptualisation narrative de la problématique existentielle sans prétention à la « véracité » des faits, sous forme de récits imagés qui nourrissent limaginaire individuel et collectif. On peut y distinguer trois niveaux : celui de la problématique, celui du récit et celui de limage ainsi créée.
Le mythe dans la Bible
Que la Bible soit pleine déléments mythiques nest pas pour nous surprendre : elle procède dun univers entièrement mythique. Mais comment gère-t-elle ces éléments ? Les mythes des cultures environnantes sont le langage dans lequel se dit le savoir sur le monde. Ce savoir est naturellement intégré mais en le subvertissant par la référence à une libération historique, celle de lesclavage en Égypte, par le Dieu unique. Toute la vision du monde, et avec elle tous les mythes qui la constituent, sont lus à travers cette conscience dune alliance qui, fondamentalement, libère lhomme. Les dieux solaires se retrouvent sous forme de lampes dans le ciel créé par la seule parole divine ; larbre du milieu du monde, si bien connu de tous les cultes chamaniques, dit la finitude humaine comme sa frontière interne. On garde le récit et limage mais on en change la signification.
Le Nouveau Testament ne procède pas autrement. Jésus est décrit dans les catégories de la mythologie ambiante, mais ces catégories sont subverties par la foi en ce Dieu si singulier quil manifeste sa gloire dans la faiblesse même. Si le récit de la naissance de Jésus peut rappeler celle de quelque demi-dieu grec, ce « Fils de Dieu » ne se distinguera justement pas par des exploits herculéens. Il y a une tension constante entre lintégration déléments mythiques et leur subversion par la foi monothéiste. La question de la « véracité » de ces mythes, respectivement leur fausseté, est régulièrement utilisée comme critère pour la « vérité » de cette foi. Faux débat, évidemment, puisquil sagit de sens et non de faits.
Le mythe dans lhistoire du christianisme
Lart chrétien a repris très tôt des images forgées par lhistoire des mythes. La « pomme » dAdam semble être volée par Hercule aux Hespérides, la vierge à lenfant reprend liconographie des innombrables déesses-mères, le « bon pasteur » paraît tout juste sorti dune scène bucolique antique. Les mythes sont ici réduits à leurs éléments esthétiques, réutilisables à volonté avec des contenus sémantiques différents.
Durant le Moyen Âge, les choses changent par lexpansion du christianisme dans des pays qui ont développé un imaginaire mythique très différent. Citons simplement lapparition du purgatoire au XIIe siècle (Jacques Le Goff, La naissance du Purgatoire, Gallimard 1981). Toute une littérature de « visions » crée alors une nouvelle synthèse imaginaire entre lHistoire du salut et lunivers mythique germanique et celtique. La cohérence de ce syncrétisme est assurée par le monopole du pouvoir symbolique exercé par lÉglise.
Continuités et ruptures
Ce cercle herméneutique entre intégration et subversion est rompu par la sécularisation et la multiplication des références symboliques. Une intégration subversive nécessiterait une foi forte. Un syncrétisme cohérent devrait sappuyer sur un monopole symbolique. Reste la juxtaposition esthétique. Mais, malgré la diversité des images et des références mythologiques, nest-ce pas en fin de compte toujours le même schéma réducteur qui sapplique avec son affrontement final entre les bons et les méchants de tant de vieilles cosmogonies ? Le mythe nest peut-être pas là où lon croit. Le fantastique abonde pour mieux cacher les vraies structures de pouvoir. La relativisation de toute référence fait tourner court toute réflexion subversive, et aboutit à un consensus que plus rien ne dérange. Au nom de quoi pourrait-on remettre en question quoi que ce soit puisque tout se vaut ? La réalité du plus fort acquiert du coup le statut dune loi de la nature. Le vrai mythe dans cette histoire nest pas telle fée sur nos écrans, mais le consensus qui préside à notre perception du monde et quil convient de subvertir : urgent !
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Avant le film il y avait eu le livre ! Son auteur, le philologue britannique R. R. Tolkien, aura été le plus grand mythophage du XXe siècle. Ce docte savant, spécialiste en langues anciennes, racontait lui-même quil eut un jour lidée de construire un corps de légendes plus ou moins étroitement reliées allant de vastes cosmologies jusquaux contes de fées romantiques. Cest ainsi quil créa un univers original qui rassemble, mêle et réinvente les grands cycles mythologiques issus des vieux mondes païens du nord de lEurope. Odin le Viking, Merlin le Celte, Arthur et la Table Ronde, Siegfried et les Nibelungen sy rencontrent et fusionnent dans son imagination pour devenir de nouveaux personnages porteurs de nouveaux noms.
La parfaite réussite de cet étonnant melting pot littéraire a trouvé son équivalence dans ladaptation de Peter Jackson. Car le réalisateur néo-zélandais a su, à son tour, exploiter toutes les ressources technologiques de son art et offrir au spectateur une véritable anthologie en multipliant emprunts et références à tous les genres cinématographiques. La somptuosité des images et des musiques, la richesse des décors et des couleurs, linteraction du réalisme et du fantastique et la parfaite cohérence des trois épisodes font de ces huit heures daventures un ensemble que jeunes et adultes ne cessent de voir et revoir sans se lasser.
Une quête inversée
Une telle séduction tient au plaisir des sens que cette uvre procure mais aussi au climat de bonne conscience et dhumanisme rassurant quelle instaure. Sen dégage en effet une spiritualité ouverte tout à fait conforme à lesprit de notre temps. Tolkien qui était un fervent catholique se considérait comme un modeste « sous-créateur » et sil maintint Dieu absent de ses contes et légendes, il affirmait quil faisait là uvre chrétienne en exprimant son point de vue moral sur le monde et les hommes. Cette préoccupation morale et humaniste sest précisée dans le film où lhumain, avec ses fragilités et ses folies, domine plus largement sur ce quil pouvait y avoir de religieux dans le livre. Ce qui est conforme au schéma tolkien cest le fait que cette longue quête initiatique à travers les pires épreuves na pas pour objectif de conquérir ce fameux Anneau dor, source de tous les pouvoirs mais au contraire, à linverse des épopées médiévales évoquées, de le détruire. Et lêtre humain qui fera aboutir ce projet libérateur nest même pas un vrai homme mais un demi-homme, un enfant de taille inférieure, le jeune Frodon le Hobbit. Cest précisément la fragilité de ce garçon, ses yeux candides, sa peur de ne pas réussir et sa gentillesse qui feront de lui lêtre en qui ceux qui le suivent mettent leur confiance. Autour de lui se mobilise toute une Fraternité, composée de plusieurs hobbits mais aussi de représentants dautres « races » : 2 hommes, 1 nain et même 1 « elfe » doté déternité. Ainsi se manifeste luniversalité nécessaire de la lutte du Bien contre le Mal.
Sauver la Terre du Milieu
Mais cette lutte se livre aussi à lintérieur de chaque individu. Le personnage grotesque et pitoyable de Gollum qui prend tant dimportance dans le troisième épisode en est limpressionnante image. Cherchant à récupérer ce précieux anneau dont il sestime propriétaire, il suit pas à pas nos jeunes gens, tour à tour obséquieux et menaçant et se parlant à lui même à la troisième personne, dédoublé en méchant et en gentil, champ contrechamp. Dans cette marche vers le salut, les elfes angéliques ne sont plus quune imagerie romantique et les attaques barbares fortement numérisées de ces monstres hideux que sont les Orcs ou les Nazguls ne sont plus quun étincelant folklore de jeux vidéo. Par contre le vrai homme quest le personnage dAragorn introduit dans ces multiples aventures tous les sentiments amoureux et violents qui caractérisent notre condition. Trahisons, désirs, jalousies, coalitions des peuples menacés, massacres et déportations dressent la liste colorée de toutes les turpitudes de cette Terre du Milieu (entre ciel et enfer !) où se prépare lArmagueddon final. Heureusement que veille sur tant dobstacles le magicien Gandalf, noble vieillard paternel et opiniâtre, partout présent et toujours vainqueur.
Et cest, au bout du voyage, ladolescent timide qui anéantira le Mal dans les laves fumantes de la purification.
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Matrix est lautre « film-culte » de ces dernières années, autant adoré par les adolescents que par les intellectuels adultes.
Les frères Andy et Larry Wachovski ne se sont pas, eux, inspirés dune uvre littéraire mais ils ont convoqué, au service de leur imagination, tous les écrits philosophiques ou religieux qui pouvaient nourrir leur scénario. Cest ainsi que les nombreux travaux publiés depuis la sortie de ces trois épisodes y décèlent Platon mais aussi Spinoza, la Bible, Descartes, Tchouang-tseu, Bouddha, Alice au pays des merveilles, Jean Baudrillard et beaucoup dautres encore, affirment les réalisateurs eux-mêmes ! Le mixage intellectuel est à son comble, au point de susciter les interprétations et les reconstructions les plus variées et contradictoires. Mais ici aussi ce grand mélange des sources se double dune foisonnante exploitation du genre science-fiction et de toutes les ressources de la technologie numérique que peut produire aujourdhui une firme hollywoodienne. Voilà pourquoi Matrix peut être vu et revu comme un magistral jeu vidéo de 480 minutes ou débattu séquence par séquence sur toutes les questions existentielles quil prétend soulever y compris la Grande Question, selon Andy et Larry. Ne nous étonnons pas que six agrégés de philosophie français aient étudié de leur point de vue de spécialistes ce quils considèrent comme une « machine philosophique ». Matrix, écrit lun deux, nest pas un document de catéchisme ou un reportage sur les religions du monde, cest une fiction éclectique du religieux, un mythe contemporain. (Matrix, machine philosophique, édit. Ellipses, 2004)
On y trouve en effet du « religieux » constamment, aussi bien dans les noms que dans les fonctions des protagonistes. Mais le brouillage est total et à tous les niveaux, alternant le discours pédagogique avec le kung-fu en 3 D, la Voie taoïste avec la traversée baptismale, les oracles dune brave mémé avec les furies de pieuvres électroniques, etc. Cest lauberge espagnole ! Avec, en plus, de lun à lautre des trois épisodes, des ruptures et des renversements déconcertants.
Haute technologie et fragilité humaine
Le premier Matrix avait séduit la jeunesse pensante par ses nombreuses pistes de réflexion quil induisait sur la Vérité, le Destin, le Réel et le Virtuel, la liberté, la responsabilité, etc. Le héros nest pas ici un enfant mais un jeune informaticien qui, lui aussi, va accepter à contrecur le destin qui lui est imposé : devenir lÉLU et troquer son prénom Thomas contre celui de NEO (One, lUnique). Son mentor, secondé par une certaine Trinity, sappelle Morpheus ; sa fonction est de léveiller à la conscience de son pouvoir et de lenvoyer arracher les hommes de la Matrice à lesclavage informatique auquel ils sont soumis. Du siège de la rébellion, un vaisseau spatial nommé Nebucanedsar, sorganise la lutte contre les agents de cette société figée, entièrement programmée par les machines dune Intelligence Artificielle. Mais ces deux mondes antagonistes sinterpénètrent par tout un réseau de communications high-tech qui leur sont communes. Et tandis quici encore une guerre planétaire se prépare, ambitions, trahisons, vengeances ou duplicités nous révèlent toutes les fragilités de la condition humaine. Seul subsiste quelque part dans les entrailles de la terre un lieu privilégié peuplé dhumains « à lancienne ». Cette cité primitive se nomme Zion, et cest lÉlu, formaté par son maître, qui doit en être le Messie salvateur.
Le kung-fu dans la caverne de Platon
Le deuxième Matrix (re-loaded !) a déçu les amateurs de débats métaphysiques et enchanté les passionnés deffets spéciaux : kung fu et carambolages de voitures prennent le dessus. Tandis que Morpheus se prend pour un preacher et transforme la communauté de Zion en rave-party, les Machines se préparent à sa destruction. Neo, qui a goûté les douceurs de lamour, apprend quil nest quune « anomalie systémique », quil nest pas le premier Élu dans une matrice qui régulièrement sépuise et exige une ré-initialisation ! Il est invité néanmoins à poursuivre les étapes de son initiation et, dans sa quête de la Source, rencontre lArchitecte. Ce simulacre de dieu mathématicien et perfectionniste maîtrise les codes informatiques mais avoue ses limites par rapport au « programme intuitif » de la mémé détentrice de lOracle.
Le sacrifice et la foi
Matrix-Révolutions donnera finalement lavantage à cette sorte de magicienne qui cuisine des cookies et entretient avec Neo des relations mystérieuses et affectives, et se dit capable de déséquilibrer les équations concoctées par lArchitecte. Après quil ait anéanti le pouvoir des Machines, lÉlu comparaît devant limage électronique dune Face quil voussoie et, debout, les bras en croix, offre sa vie en sacrifice pour sauver les gens de Zion tandis quune voix déclare : cest fait ! Le dernier plan nous ramène à la mémé-Oracle qui contemple des buildings dans la première vive lumière solaire depuis le début du film et déclare : « je ne savais pas ce qui arriverait mais javais la foi ! »
Un jeu interactif
Cette cyber-mythologie polymorphe où se mélangent et se neutralisent le vrai et son contraire, où lambiguïté est érigée en système, ressemble en fin de compte à un jeu interactif qui réclame de chacun de ses utilisateurs sa propre interprétation. Image dun monde de plus en plus virtuel où le scepticisme sétend, où les programmes des Institutions sont piratés et donc voués à la disparition, le film paraît en définitive inviter chacun à la résistance et la bonne morale individuelle : choisis la bonne porte, celle qui ouvre sur la conscience de soi, la liberté de choisir et la sagesse du corps et de lesprit ! Alors, à vos DVD, osez affronter le monstre !
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Dans Rois et Reine, Arnaud Desplechin multiplie les représentations des figures de la mythologie grecque. Elles agissent comme une suite déchos titillant linconscient du spectateur.
Le thème central du film dArnaud Desplechin ? La famille, les liens qui la tissent, les forces qui la font éclater. Et, pour illustrer ce thème, une histoire gravitant autour de deux personnages, Nora et Ismaël.
Nora a trente-cinq ans. Elle est la mère dun petit garçon, Elias, dont le père est mort avant la naissance. Elle a ensuite vécu pendant six ans avec Ismaël qui a alors servi de père à Elias. Elle forme couple maintenant avec Jean-Jacques ; il est riche, plus âgé quelle, très amoureux, rassurant. Trois hommes, donc, dans la constellation de Nora. Trois hommes auxquels se rajoute un quatrième, le plus important sans doute : le père de Nora, qui aime sa fille dun amour exclusif où linceste latent se devine en filigrane. Quant à Ismaël, seconde figure centrale, cest un personnage instable, attachant et insupportable, qui, enfermé en hôpital psychiatrique au début du film ne cessera de lutter pour recouvrer sa liberté.
Correspondances
Dans ce récit contemporain et réaliste, la mythologie grecque est utilisée par Arnaud Desplechin comme un miroir qui double les perspectives. Évoquée à travers une multiplicité de citations ou de tableaux, elle établit des correspondances entre des situations daujourdhui et des légendes inscrites dans linconscient collectif. Elle a pour effet douvrir le film sur une « autre scène », celle du mythe, et, par le jeu déchos quintroduit sa mise en abyme, denrichir les personnages dun contenu symbolique qui dépasse leur simple histoire.
Dentrée, par une phrase inaugurale, Arnaud Desplechin attire lattention du spectateur sur la dimension inhabituelle de son film : « Zeus aimait la belle Léda, épouse du mortel Pindare, neuvième roi de Sparte. Il laborda sous la forme dun cygne. » Ensuite les références mythologiques se succèdent, centrées essentiellement sur deux personnages, Hercule et Léda, qui renvoient aux deux héros du film : Ismaël et Nora.
Le parallélisme Ismaël-Hercule permet dobtenir deux résultats opposés : un effet comique résultant de la mise en face à face du héros grec et du personnage clownesque dIsmaël, et un effet épique, les aventures dHercule venant lester de leur basse continue et dramatique le côté feu follet du personnage. Quant à lidentification Nora-Léda, elle se complète par une autre : celle du cygne avec le père de Nora. Le déplacement est comparable à celui qui se passe dans les rêves et permet dexprimer à travers le codage de limage la relation incestueuse latente qui existe entre eux.
Des dieux et des hommes
Les références mythologiques participent aussi dune autre façon à lenrichissement des thèmes de la filiation et de la constitution des familles : on dit celles-ci de nos jours souvent « recomposées ». Elles le sont particulièrement dans ce film où les liens traditionnels (et biologiques) sont mis à mal. Et cest là justement, dans ce chaos du symbolique, que les gravures mythologiques sont en résonance avec ce qui se passe sur lécran : quoi en effet de plus hors des normes que les naissances des dieux et des héros et que la façon dont ils assument leur paternité ? Zeus, déguisé en cygne sest fort peu occupé des deux ufs dont il a engrossé Léda et qui, à leur éclosion, ont donné naissance à quatre enfants. Quant à Hercule, faut-il rappeler quil était le fils de Zeus, le dieu ayant pris lapparence dAmphitryon pour pouvoir tranquillement bénéficier des faveurs dAlcmène, la femme de ce dernier ? Et ce nest sans doute pas trop pousser le bouchon que de voir dans ces images dun roi des dieux avançant en séducteur masqué et se comportant en géniteur abandonneur, la représentation que Desplechin se fait ou veut donner de la virilité et de la paternité contemporaine.
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Numéro 200 |
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