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L'effondrement du Concordat. Carte postale satirique |
Pour les uns, le salut arrivera au bout de notre route terrestre individuelle ou collective. Il aura lieu au terme de notre vie, après la mort, ou à lachèvement de lhistoire, après la fin des temps. Il viendra un jour, plus tard, quand nous entrerons dans lau-delà. Le croyant lattend avec joie et confiance ou avec crainte et tremblement. Comme lécrit Paul : « Cest en espérance que nous sommes sauvés. » (Rm 8,24)
La vie actuelle nous achemine vers autre chose. Nous ne faisons que passer sur terre, et ce qui compte dans un passage, cest là où il conduit. Le croyant ne doit pas se laisser absorber par ce qui nest que transitoire. Il lui faut penser constamment à son salut éternel et agir en fonction de la promesse, parfois de la menace quil entend et reçoit dans lÉvangile.
Dans cette perspective, on peut comparer la vie chrétienne à la situation des hébreux dans le désert du Sinaï, après lexode. Ils sont sortis dÉgypte, mais ne sont pas parvenus à la terre promise ; ils marchent vers elle et parfois leur route est aussi dure, voire plus dure que lesclavage quils ont connu. Ils naménagent pas la région quils parcourent ; ils ne font pas des travaux dans le désert. Ils le traversent en pensant seulement à leur destination. Le salut est lavenir qui oriente le présent.
Dautres mettent laccent non pas sur le futur, mais sur le présent. Comme lécrit Paul (2 Co 6,2) : « Voici maintenant le temps du salut. » Le salut entre aujourdhui dans notre maison, le sauveur naît dans notre vie lorsque la parole de Dieu nous atteint et que nous nous donnons à lui, pour reprendre le vocabulaire des campagnes dévangélisation. En effet, sa parole nous convertit, elle change notre vie. Elle ne fait pas disparaître comme par un coup de baguette magique ce qui nous tourmente et pèse sur nous, mais elle nous le fait voir et vivre autrement. Ce qui paraissait un fardeau insupportable devient léger, parce que le Christ vient le porter avec nous.
Cest ici et maintenant, dans mon existence actuelle, que le Christ me rencontre et me donne pardon, force, consolation et mapporte confiance, paix et joie. Le croyant se tourne sans cesse, à chaque instant, vers Dieu pour recevoir toujours à nouveau son salut ; il cultive la piété, sadonne à la lecture de la Bible, à la prière, au culte et aux sacrements. Car cest dans ces moments à part, consacrés à Dieu, que nous vivons intensément notre lien avec lui, et que son salut vient à nous, entre chez nous. Dans les milieux marqués par le Réveil, il est courant que les gens se convertissent de nombreuses fois, parce quon nest jamais un converti, un born again, qui est né de nouveau dans le passé ; on a toujours besoin de se convertir et de naître de nouveau dans le présent. Même le réveillé ne lest jamais totalement et définitivement, Dieu lappelle sans cesse à encore et à mieux se réveiller, à redécouvrir et à revivre son salut.
Ici, on pourrait comparer le salut à la manne que, dans le Sinaï, les hébreux affamés reçoivent tous les matins. À chaque aurore, elle leur tombe du ciel. Ils sen nourrissent, mais ils ne peuvent pas lemmagasiner, faire des réserves ou des provisions ; stockée, elle saltère et devient immangeable. Quand le jour se lève, la manne (le salut) vient à nouveau, comme si cétait la première fois, sur des gens toujours aussi démunis. On ne sinstalle pas, on ne construit pas, on ne cultive pas, on vit de ce que Dieu nous donne gratuitement chaque jour. « Nous sommes toujours des mendiants », aurait déclaré Luther juste avant de mourir.
Pour un troisième courant, le salut ne se situe pas aujourdhui, ni demain, mais autrefois. Il nest pas le présent ou lavenir de la vie chrétienne, mais son origine ou sa préhistoire. Il est semblable à une naissance qui inaugure une existence ou à une source qui alimente un fleuve. Le salut est une affaire réglée, résolue et dépassée depuis longtemps. César Malan, un célèbre pasteur genevois du dix-neuvième siècle, auteur de nombreux cantiques, affirme : « Cest offenser Dieu que de le prier pour un salut quil nous affirme avoir accompli depuis si longtemps. » Le salut ne date pas dhier, ni même de la Croix, il y a deux mille ans, puisque lépître aux Éphésiens (1,4) le situe avant les temps, avant la fondation du monde. Alors quil ne nous avait pas encore créés, Dieu nous avait déjà sauvés ; avant même que nous nexistions, notre salut était décidé et accompli. En nous annonçant que nous avons été sauvés, lÉvangile nous débarrasse de toute inquiétude pour notre sort actuel ou final. Comme lécrit le Réformateur de Strasbourg, Martin Bucer : « Le croyant na pas à se soucier du salut, Dieu a fait le nécessaire. »
Le salut est acquis, irréversible, rien ni personne ne nous lenlèvera. Il nobnubile donc pas le chrétien. Un autre problème le préoccupe et le mobilise, à savoir que la volonté de Dieu se fasse dans le monde. Jésus est le sauveur, cest fait ; il faut maintenant quil devienne le seigneur, cest-à-dire celui quon écoute et quon suit. Que le Royaume gagne du terrain en nous, dans lhumanité et sur la terre, voilà ce sur quoi nous devons concentrer notre attention et nos efforts.
Cette troisième attitude fait penser au peuple sinstallant dans la terre promise. Dieu la sauvé. Il la libéré dÉgypte, la fait sortir du désert. Il lui a donné un pays. Ce pays, Israël doit maintenant laménager, le cultiver, lexploiter. Il vit du don de Dieu, mais ce don le met devant une tâche à accomplir et des responsabilités à assumer. Le croyant nest pas un voyageur cheminant vers une destination à atteindre ; il nest pas un mendiant de la grâce ; il est un ouvrier dans la vigne, semeur ou moissonneur dans le champ.
Il ne faut pas radicalement opposer ces trois manières de conjuguer le salut, elles se trouvent toutes les trois dans la Bible, et souvent (par exemple chez Paul) elles se juxtaposent ou se combinent.
Il nen demeure pas moins que, selon le temps que
lon privilégie, on aboutit à des conceptions différentes
de la pratique chrétienne. Quand on situe le salut dans un avenir
qui dépasse notre monde, on se préoccupe du but final
(la vie éternelle) ; les tâches et préoccupations
de ce monde ne doivent pas en détourner ou en distraire. Lorsquon
insiste sur le salut au présent, lessentiel est daménager
des moments à part pour rencontrer Dieu, de prévoir des
temps où on sisole dans une sorte de tête-à-tête
avec lui doù tout le reste est exclu. Dans les deux cas,
les affaires de cette terre nont pas grande importance spirituelle.
LÉvangile, écrivait au début du vingtième
siècle Adolf Harnack, cest « Dieu et lâme
». Pour la troisième option, lÉvangile, cest
Dieu et lâme, certes, mais aussi ce monde où témoigner,
où travailler, où lutter pour le changer, ne fût-ce
quun tout petit peu. LÉvangile nous appelle non pas
à nous préoccuper de notre sort éternel et de notre
âme, mais à militer dans le monde avec la préoccupation
de la justice et de la paix, en témoin, en artisan ou en ouvrier
du Royaume.
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Numéro 194 |
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