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Les trois photos qui illustrent
ce cahier sont de Norbert Ghisoland Nous remercions fraternellement Marc Ghuisoland de son autorisation à reproduire ces photographies faites par son grand-père. |
Pédopsychiatre, jai été étonnée de voir depuis quatre ou cinq ans une modification franche des comportements des enfants que je rencontre; subitement, en effet, depuis lan 2000, une proportion étonnante de ces enfants de 3 à 8 ans que leurs parents mamènent en consultation pour des raisons variées, présente des points communs précis: une grande réticence à obéir, une mauvaise tolérance de la frustration, et une incapacité à attendre. Ils veulent tout, tout de suite, font la sourde oreille ou traînent quand on leur demande de renoncer à leurs occupations, font une colère chaque fois quils sont «contrariés». Jai dabord évoqué un biais dans mon «recrutement». Puis jai appris que mes collègues, les enseignants, les moniteurs de sports et enseignants artistiques, les éducateurs, étaient tous confrontés au même problème. Par exemple, un professeur des écoles, enseignant en classe de CP, me disait récemment quun tiers des élèves de sa classe avaient un niveau «affectif» de 4 ans, malgré un niveau intellectuel normal de 6 ou 7 ans. Cette tendance comportementale se confirmant année après année, pour les enfants nés après 1996, nous avons tenté den rechercher les causes.
Nous avons dabord remarqué que cela était indépendant:
- du travail des mères
- du milieu social, professionnel, financier
- du sexe de lenfant
- du mode déducation reçu par les parents: ces jeunes parents, nés autour de 1968, ont pour certains été élevés avec laxisme (le «interdit dinterdire» pour lequel sétaient battus leurs parents), pour dautres de manière traditionnellement autoritaire.
La séparation des parents ne semblait pas non plus une cause majeure en soi.
Les facteurs en jeu nous ont donc paru plus cachés, profondément ancrés dans les inconscients des jeunes parents. Nous allons tenter de les cerner, avant de décrire schématiquement deux types des «nouveaux enfants» quils entraînent et dimaginer quels adultes ils pourront être.
Évolution de la société.
Durant des millénaires, la société a été très stable, malgré les guerres. Les familles traditionnelles suivent, encore aujourdhui, le même principe: le passé sert de modèle pour préparer les nouvelles générations au futur, qui paraît ainsi prévisible. La famille traditionnelle a pour fonction essentielle la transmission de la vie, des gènes, du patrimoine, mais aussi de la mémoire, des coutumes et rites, du «mythe familial». La survie du groupe repose sur lobéissance, aux dépens des choix individuels. Les croyances religieuses fortes font espérer la possibilité du bonheur dans lAu-delà. Puis, à partir de la Révolution française, un autre modèle de société est apparu parallèlement, visant à élaborer un futur meilleur sur terre, pour les générations suivantes, en sappuyant sur la raison et la technologie. Dans les deux cas, le devoir est la valeur essentielle transmise par les parents aux enfants. Le respect du devoir est le prix à payer pour conserver sa place dans une communauté dappartenance forte. Cest après la Première Guerre mondiale qua commencé à émerger lidée du caractère imprévisible de lavenir, puis, plus récemment, la disparition de la croyance dans les effets positifs du progrès. Le passé étant de plus en plus disqualifié, cest sur le présent seul que se fondent les familles contemporaines: elles pensent souvent ne rien avoir à transmettre.
Ce sont les enfants de ces familles, apparues vers 1965 dans tous les pays occidentaux, que nous voyons arriver aujourdhui dans nos consultations, peut être pas plus «troublés» que les autres, mais certainement autrement «troublés».
Sur le plan de la société, globalement, limportance prépondérante accordée au présent aujourdhui a dautres conséquences:
- La diminution de limpact et des religions classiques (non extrémistes) et des rituels sociaux,
- Lingérence croissante de la société dans les familles, que le tissu social et familial élargi ne régule plus, société qui est devenue très sensible à toute violence.
- Enfin, et surtout la société daujourdhui semble entièrement soumise au règne de largent. Le capitalisme étant en train de se «mondialiser», ses défauts vont probablement sétendre aussi. Le plus visible en est la «préconisation médiatico-publicitaire»: les médias, et la publicité dont ils sont les supports, ont créé un système pervers qui supprime lanalyse des besoins par un individu lui-même, et la remplace par la soumission à des suggestions séduisantes (souvent au sens sexuel même) qui, en apparence, sont au service du bien-être de lindividu, mais en réalité sont au service des intérêts commerciaux et financiers des entreprises. Lindividu, qui se pensait libéré du Devoir, doit se créer une identité, en faisant des choix réussis, dont il est responsable.
- Le principe central de notre société que transmettent les médias est ainsi devenu la recherche du bonheur ici et maintenant par «lépanouissement personnel» de lindividu. Le seul péché semble de «ne pas être heureux», évoquer les devoirs des individus est devenu une transgression. Dans lhédonisme am-biant, le milieu professionnel est de plus en plus dur, exigeant, sans pitié, après loptimisme des «30 glorieuses»; il est marqué par une grande instabilité et des rapports superficiels qui demandent une adaptabilité, une flexibilité et une soumission majeures.
Évolution des familles
«Réussir sa famille» est devenu laspiration la plus fréquente, aujourdhui.
- La famille élargie reste importante: cependant, le mode de vie urbain a supprimé tout le support matériel, affectif et rituel quapportait «la parentèle». Les grands-parents sont rarement un soutien, éloignés géographiquement, pris par leur travail, leurs propres divorces et nouveaux couples, leurs propres parents très âgés (élément nouveau apporté par le gigantesque bond qua fait lespérance de vie depuis 50 ans), ou considérés hors course par la rapidité de lévo-lution de la société.
- La «nouvelle conjugalité» est maintenant majoritaire dans la région parisienne. Le couple nest plus institutionnalisé, mais contractualisé, donc précaire, même sil est toujours souhaité par les jeunes adultes. Ceux-ci, toujours sous la pression des médias, attendent du couple le Bonheur, jour après jour. Ils pensaient échapper à la contrainte du mariage à vie, ne garder que «le meilleur» et laisser «le pire»; ils ne peuvent éviter longtemps les sacrifices quimpose la vie à deux quand on veut en retirer une sécurité affective. Lémancipation et le travail des femmes, les «nouveaux pères» qui tiennent à être proches de leurs petits, ont beaucoup apporté à léquili-bre des enfants: ce sont les liens affectifs qui donnent un sens à lexistence. Cependant, dans les familles traditionnelles, que ce soit le père ou la mère qui dirige à lintérieur de la maison, cela est clair pour chacun. Aujourdhui, il y a souvent deux chefs qui se disputent le pouvoir dans la famille: cela évite le despotisme, mais majore la fragilité du couple, majore le pouvoir, la culpabilité et langoisse des enfants, sujets et victimes de ces conflits. Les thérapeutes familiaux ont ainsi inventé la «godille familiale»: chaque parent est le chef alternativement 8 ou 15 jours, montrant aux enfants le respect mutuel et la cohésion présents dans le couple parental. Quand le «CDD» conjugal touche à sa fin, parents et enfants ont un immense travail psychique à faire: dabord un travail de deuil de «lancienne famille», tout en tâchant de constituer une famille «mono-parentale». Dans ce cas, lenfant, souvent laîné, gagne une place de compagnon, de soutien de ladulte qui a sa «garde» (souvent encore la mère). La différence de génération sestompe, avec les risques, séduisants pour lenfant mais fort coûteux à long terme, davortement denfance. Cest probablement ce qui explique les troubles surprenants que présentent les enfants dont les parents se remarient, après plusieurs mois de séparation.
La garde alternée, de plus en plus fréquente, est une solution moderne à un problème qui remonte à Salomon. Elle est certainement très déstabilisante chez des enfants jeunes (avant 6 ans?). Chez les plus grands, elle peut être une solution aux «conflits de loyauté» que vivent ces enfants.
Avec maintenant plusieurs décennies de recul, sociologues comme «psys» saccordent à penser que les enfants de parents divorcés ne vont pas plus mal que les autres, à condition impérative que chacun des deux parents sache, quelles que soient sa tristesse ou sa colère contre son ex-conjoint, respecter ses enfants, et donc respecter leur autre parent, et ne pas utiliser ses enfants comme une arme contre cet ex-conjoint. La séparation des parents confronte les enfants à leurs tentatives de reconstitution dun nouveau couple; ils sont donc souvent témoins de la sexualité, plus ou moins discrète de leurs parents, à «lâge de latence», cest à dire à un âge où leurs investissements scolaires et sociaux de-mandent un refoulement de leurs préoccupations sexuelles, ou à ladolescence, où les circonstances les placent en rivalité avec leurs propres pa-rents.
Il semble donc que ces nouvelles familles, qui vivent avec lillusion du libre choix, soient soumises à lobligation daimer, dêtre libre et heureux: cette tyrannie du désir affaiblit les liens dappartenance familiale et majore le sentiment dinsécurité.
La fréquente instabilité de ces nouveaux couples confronte les enfants à un, ou deux parents peu disponibles psychiquement, et à des ruptures itératives avec ces «ami(e)s» successifs de leurs parents, et avec les enfants de ceux-là. Au bout de quelques années, ils ne tentent même plus de sattacher aux cohabitants de passage.
Quand un couple stable se reforme, là encore, ladaptabilité des enfants est mise à rude épreuve. Depuis des siècles, des enfants sont soumis à des ruptures dans leurs «figures parentales»: des enfants étaient confiés à des proches ou des nourrices pour plusieurs années, puis repris par leurs parents bio-logiques. La fréquence des décès les confrontait à des beaux-parents souvent décrits comme rejetants, voire mal traitants. Les séquelles de ces ruptures successives peuvent être graves. Notre époque les confronte à une pluri-parentalité simultanée: ces enfants ont en même temps un père et un (voire plusieurs) beaux-pères, une mère et une (voire plusieurs ) belles-mères. Ils ont parfois une dizaine de (beaux) grands-parents. Leur adaptabilité est aussi mise à rude épreuve autour des nouvelles fratries: entre leurs demi-frères et surs (et leur demi-chien ), et leurs «quasi» frères et surs, (enfants du premier couple de leurs beaux-parents), ils peuvent passer dun rang daîné à celui de cadet, en fonction des jours Ceux qui vont bien, à qui les adultes ont clairement expliqué la situation, se repèrent parfaitement bien dans ces généa-logies psychiques et/ou biologiques. Mais nest-ce pas trahir papa que daccepter que le nouveau compagnon de maman fasse un foot avec moi? Chaque nouveau couple «bricole» le type de relation que va avoir le beau-parent avec les enfants du premier lit, et cette relation est souvent évolutive dans le temps, les sentiments de chacun étant très complexes. En fonction de son âge, et de son expérience de la parentalité, le nouveau conjoint aura plus ou moins envie de sinvestir dans un rôle éducatif vis-à-vis de ces enfants qui ne sont pas les siens. Mais le parent biologique lui refuse parfois ce rôle, quil (elle) avait déjà bien de la peine à partager avec son premier conjoint. Et les enfants, tiraillés entre leur loyauté à Papa et leur loyauté à Maman, refusent souvent ce rôle au beau-parent. Souvent, le nouveau couple cède pour se faire accepter, mais jusquoù céder? Le «nouveau» doit-il se laisser insulter pour être toléré? Cependant, mon expérience des couples recomposés après un veuvage me montre les grandes difficultés quils ont aussi, en raison dune culpabilité qui peut être encore plus vive vis-à-vis du parent décédé.
«Lhomo-parentalité» est une autre facette de ces problèmes. Les quelques enfants que jai vus dans ce contexte, paraissaient aller bien, mais ils étaient élevés par des parents homosexuels très motivés et attentifs. La multiplication des familles homosexuelles va probablement voir augmenter le nombre des parents homosexuels fragiles psychologiquement, ou en conflits (qui paraissent fréquents et très passionnés dans ce milieu) et donc les difficultés se reporter sur les enfants.
Il semble donc que ces nouvelles familles, qui vivent avec lillusion du libre choix, soient soumises à lobligation daimer, dêtre libre et heureux: cette tyrannie du désir affaiblit les liens dappartenance familiale et majore le sentiment dinsécurité.
Évolution de léducation.
Que les parents forment un couple traditionnel, apparemment durable, ou un couple éphémère en fonction de leurs désirs, les principes éducatifs actuels ont beaucoup de points communs. Les quelques parents traditionnels qui tentent encore de résister sexposent ainsi à de grandes difficultés, car ils sont amenés à se rigidifier pour maintenir leurs positions, alors que, même sans télévision, ordinateur, ni Internet, même dans des écoles religieuses «hors contrat», leurs enfants sont fascinés par ce que vivent «les autres», quils idéalisent terriblement.
La majorité des jeunes parents, quils aient été élevés de manière traditionnelle ou «soixante huitarde», se fient moins à ce que leur ont transmis leurs parents, ou à leurs réflexions, quaux médias dans leur recherche dun modèle éducatif.
Les idées centrales en ont été énoncées par Françoise Dolto, il y a cinquante ans. Elles ont apporté des bouleversements très positifs dans léducation des enfants. Malheureusement, ces idées ont été schématisées, figées, et ces principes novateurs sont devenus aujourdhui des problèmes majeurs. «Lenfant est une personne»: il est devenu un enfant roi; «il faut parler aux enfants»: les mères daujourdhui parlent tellement que les enfants ne les écoutent plus, elles ne savent plus faire les gestes, utiliser les tons de voix in-dis-pensables pour se faire obéir par un jeune en-fant, et donc lui apprendre à obéir.
En outre, les parents en détresse sen autorisent pour se permettre de «tout dire» à leurs enfants: il y a beaucoup moins de secrets de famille toxiques, mais beaucoup plus de confidences, toxiques dune autre manière
Les nombreux magazines tournés vers les familles et les enfants ont longtemps orienté leurs articles dans le sens dominant de la société («comment laider à sépanouir»). Depuis quelques mois, ils semblent revenir vers des principes éducatifs plus traditionnels («comment lui dire non»), tout en confrontant les parents, dans les publicités encartées, avec les messages subliminaux inverses («faites vous plaisir», «le temps ne compte plus»).
Lalliance de ces modifications sociales et des modifications familiales ont des conséquences majeures dans léducation des enfants. Lhédonisme en est devenu le repère central, les parents disant rechercher «lépanouissement» de leur enfant en premier lieu. Ils sont de plus en plus nombreux à être terrifiés à -lidée que leurs enfants souffrent dinconforts minimes ou leur en veuillent, et ne les aiment plus sils imposent quoi que ce soit. Dans ces systèmes consensuels, les parents tentent de faire fonctionner la famille comme une démocratie, le lien adultes/ enfants paraît symétrique jusquau moment où les parents, qui ne veulent pas renoncer à leur épanouissement à eux, ne supportent plus, et recourent au marchandage, à la séduction ou à la force. Les explosions de colère dun parent sont inconstamment efficaces, mais toujours très coûteuses en temps, en énergie, et en estime delle-même pour lensemble de la famille. Les enfants intègrent ces types de résolution des conflits, ce qui explique laugmentation de la violence en milieu scolaire. Beau-coup de parents demandent devant moi à leur enfant, à la suite de notre entretien, sil veut bien désormais accepter quils lui fixent des limites, sil veut bien quils léduquent! Ces parents nont pas intégré que les conflits sont inévitables dans toute relation: les conflits nentraînent pas la destruction du lien affectif, ils contribuent à le construire. La philosophe Hanna Arendt faisait bien la différence entre autorité, contrainte (par la force) ou la persuasion (par le raisonnement ou la séduction). Lautorité réside dans la reconnaissance de la hiérarchie, cest--à-dire, dans une famille, dans la reconnaissance de la différence entre parents et enfants.
Une autre caractéristique de la vie enfantine actuelle est lexposition précoce à la sexualité adulte. En effet, les parents en pleine «lune de miel» lors de leurs rencontres amoureuses après une séparation, ne préservent guère le mystère de leur intimité. La symétrie des relations pousse les parents attendris à nommer «fiancé» ou «lamoureuse» lami(e) de leur enfant lorsquil a des amitiés fortes. La prohibition de linceste devient problématique dans les familles recomposées. Sur le plan de la société, la télévision et les publicités dans la rue, le métro, sur les kiosques à journaux exposent les enfants, souvent sans commentaires des parents, aux images dadultes demi-nus dans des positions séductrices, aux protections féminines, à la Gay Pride, aux séries américaines de plus en plus suggestives, sans parler du développement de la pornographie. Enfin, en milieu scolaire, comme dans les familles mêmes, les «cours» déducation sexuelle, prévention du SIDA ou de la pédophilie ont forcément comme inconvénient majeur lexposition prématurée des enfants à ce quil y a de plus noir dans la sexualité humaine. Il semble que parents et enfants, comme toute la société, tendent vers une adolescence interminable.
Les nouveaux enfants.
Aujourdhui donc, les éléments sociaux didentification des individus sestompent, (lon ne peut plus dire quon est «cheminot» ou «de son village»). Le couple devient un élément majeur pour les individus: ce poids le fragilise (plus on en attend, plus on risque dêtre insatisfait), les couples sont de plus en plus instables. Le poids retombe souvent sur le ou les enfants. Ceux-ci sont de moins en moins «névrotiques» (cest à dire souffrant de la répression de leurs désirs sous la charge de lautorité parentale, puis du Devoir). Les nouveaux enfants sont schématiquement de deux types: tout-puissants ou «parentifiés».
Les enfants tout-puissants.
Ces enfants nont pas pu renoncer aux privilèges du bébé: en effet, un nouveau-né est toujours le roi. L«obéissance» des adultes à ses besoins matériels est la condition essentielle à sa survie et leur reconnaissance de lenfant constitue le fondement de son estime de lui-même. Puis entre deux et quatre ans, grâce aux petites frustrations que les parents «traditionnels» lui imposent, il renonce à cette toute-puissance pour intérioriser les interdits, la loi, la réalité, le respect des au-tres, le caractère irréversible du temps qui passe et gagner la sécurité dappartenir à sa famille.
Le franchissement de cette étape est devenu très inconstant aujourdhui. Ces enfants ne supportent pas dattente, ni de manquer. Ils veulent tout, tout de suite, leur dépendance à lenvironnement est grande. Et quand linévitable frustration survient, ils présentent une détresse pathétique, des colères explosives qui peuvent les mettre en danger, ou des phobies durables, avec un évitement des situations problématiques (phobies scolaires, phobies des apprentissages ). En effet, un cercle vicieux sinstalle entre le comportement tyrannique, et les sentiments dangoisse et de culpabilité. Souvent, cest lécole qui tire le signal dalarme dès la maternelle, quand à ces signes sassocient des difficultés relationnelles avec les pairs, à type de violence plus souvent que dévitement.
À ladolescence, on constate chez ces individus quils nont pas acquis de sens moral (ils sarrêteront au feu rouge car ils voient des gendarmes, ou une voiture qui arrive, et non par respect pur). Leur fragilité narcissique les rend très dépendants de lenvironnement: ils sont la cible principale des publicitaires, qui savent bien que les enfants sont devenus les principaux décisionnaires des achats familiaux. La recherche de stimulations leur permet de continuer à vivre dans le moment présent, sans passé, vécu comme aliénant, ni futur, incertain. La fragilité du lien familial dans ces familles contemporaines complique en effet les processus de séparation, particulièrement en jeu à ladolescence. Cependant, dans cette nouvelle temporalité, tout échec est dramatisé, le risque de tentatives de suicide est donc grand.
Cependant, lavantage de ce type déducation est quelle réduit considérablement la culpabilité. Le système consensuel de relations familiales favorise aussi la capacité des enfants à saisir les situations, à argumenter, en fonction du point de vue de lautre.
Les enfants parentifiés.
Ils ont pu être élevés avec une logique consensuelle, mais la souffrance, voire la désorganisation psychique de leur parents ont été telles quen fait, ils ont accepté la réalité, et se sont éduqués eux mêmes et pris en mains, avant de prendre en main un ou deux parents, voire leurs frères et surs. Leurs responsabilités écrasantes les rendent hyper-anxieux, vigilants, insécurisés; ils se sentent responsables, et se culpabilisent de tout. Bien sûr, cela favorise leur autonomie, leur hyper-maturation. Les multiples recompositions familiales quils rencontrent souvent leur ont appris la relativité des règles de vie, la solidarité et les apprentissages entre pairs, mais ils ne pourront en bénéficier que sils ont été bien accompagnés par des adultes dans ces épreuves, ce qui est rarement le cas de ces enfants parentifiés.
Tout-puissants ou parentifiés, ces enfants auront été dabord admirés, adulés, vénérés, avant dêtre descendus de leur piédestal: la déception, voire la rage des parents contre leurs enfants «pas à la hauteurde leurs espérance» seront à la mesure des attentes quils avaient placées en eux.
Le futur
Nous entrons là dans un domaine spéculatif, forcément fait dhypothèses.
Linconvénient majeur du modèle traditionnel est le manque de respect des particularités et de la créativité des individus, et sa faible adaptabilité à un monde qui évolue de plus en plus vite. Le modèle contemporain a pris le contre-pied, sans doute de manière trop entière.
Nous craignons de voir apparaître, dans vingt ans, trois grands types dadultes:
- des adultes névrotiques, les «normaux» daujourdhui, souvent englués dans leurs conflits intérieurs,
- des adultes insatisfaits, dépendants des choses et des gens (voire toxicomanes), dépressifs, soumis à des explosions de colères,
- à côté dadultes bien intégrés socialement, au cynisme efficace, privés de sens moral, ne sintéressant aux autres que dans la mesure où ils peuvent leur être utiles, chez qui tous les moyens sont bons pour obtenir ce quils désirent ( force, marchandage, ou séduction).
Le problème sera sans doute celui de nos outils de travail thérapeutiques, les anciens risquant dêtre trop souvent obsolètes: les thérapies psychanalytiques aident à résoudre des conflits névrotiques, entre soi et soi-même. Les thérapies familiales, qui sappuient sur la transmission verticales dans les familles risquent également dêtre insuffisantes chez les adultes. Les médicaments et thérapies cognitives comportementales ne rendront pas le sentiment profond du respect de lautre.
Que faire?
Aujourdhui, seule la prévention nous est accessible. Les familles daujourdhui sont donc tiraillées entre le modèle traditionnel et le modèle contemporain. Le modèle traditionnel reste encore assez idéalisé, bien que le vingtième siècle ait cherché, à tort, à en reproduire le schéma aveuglément, sans tenir compte du changement de société majeur que constitue lénorme augmentation de lespérance de vie. En effet, il y a deux cents, ou même cent ans, les veuvages très fréquents (dus aux décès accidentels, militaires, ou obstétriques) réduisaient considérablement la durée moyenne de la vie conjugale, qui nétait guère plus longue quaujourdhui, pour dautres raisons. En outre, ces couples «pour la vie» étaient parfois allégés par la séparation de corps (qui a même été préconisée par lÉglise catholique), et par ladultère (qui, lui, était interdit). Les structures familiales «horizontales» existaient déjà, où les enfants étaient élevés en groupes de frères, surs, cousins, apparentés, voire bâtards, et enfants de serviteurs, léducation en étant déléguée à quelques adultes (parents, tante, nourrice, ou «bonne» comme dans les ouvrages de la Comtesse de Ségur). Le schéma «père-mère-enfants», idéal du milieu du vingtième siècle, est très ponctuel dans lhistoire de lhumanité, et dans le monde. Linconvénient majeur du modèle traditionnel est le manque de respect des particularités et de la créativité des individus, et sa faible adaptabilité à un monde qui évolue de plus en plus vite. Le modèle contemporain a pris le contre-pied, sans doute de manière trop entière.
La meilleure solution que nous puissions imaginer serait la fusion de ces deux grands modèles, faisant émerger une morale déquilibre entre linterdit et la libération du désir qui tienne compte des besoins très différents des adultes et des enfants, du respect des différences générationnelles. Ainsi, les membres dune famille pourraient inventer de nouvelles règles qui permettent à leurs enfants de se construire psychiquement en étant respectés, tout en leur apprenant le respect du bien-être commun, garant de leur appartenance familiale et sociale. La multiplication des guidances parentales pourrait permettre daider les familles dans ce «bricolage» en attendant quun modèle «automatique» se mettre en place.
De toute façon, il faudra que les sociétés occidentales sengagent dans un processus parallèle, réduisant la puissance de largent et du pouvoir, pour retrouver un sens moral, religieux ou humaniste.
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Numéro 189 |
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