Numéro 189 - Mai 2005
( sommaire
)
Cahier : Que sera la famille au XXIe siècle ?
par le Docteur
Anne-Catherine Masson
Daprès le Petit
Larousse, la famille est lensemble formé par le père,
la mère et les enfants. La déclaration universelle
des droits de lhomme de 1948 proclame: «La famille est
lélément naturel et fondamental de la société.»
La raison dêtre majeure des familles a dabord
été la transmission de la vie, mais aussi celle des
coutumes et des rites. Avec lévolution de la société
au siècle dernier, qui perd confiance en lavenir et
idéalise la liberté individuelle, les familles transmettent
de moins en moins le devoir dobéissance. Limportance
prise par le présent fait perdre en partie la relation au
passé, donc la religion.
La famille évolue rapidement depuis quelques dizaines dannées.
Vie en couple sans mariage, divorces, familles monoparentales, remariages
sont de plus en plus fréquents. Beaucoup denfants sont
partagés entre père et mère, et vivent avec
des demi-frères, demi-surs, beaux-parents. Cette évolution
a des répercussions sur la structuration des enfants. Leur
éducation subit les contrecoups de ces évolutions,
et de la culpabilité que peuvent ressentir les adultes. Elle
subit également les conséquences didées
nouvelles apportées par Françoise Dolto il y a cinquante
ans, pas toujours bien comprises, et qui conduisent alors à
une perte de repères pour les enfants.
La famille «traditionnelle» est-elle liée à
la religion? Dans Gn 1,27-28 Dieu crée le couple homme-femme
et leur ordonne la procréation. Lorsquil cite ce texte
en Mc 10,6-9, Jésus «oublie» le verset 28. Le
couple existe en soi, les enfants cessent dêtre un devoir
pour devenir un choix gratuit, pour la joie et lamour. «La
naissance dun enfant ne fait pas la famille; elle manifeste
publiquement quil y avait un lien déjà là,
qui avait son sens en lui-même et qui permet laccueil
dun enfant.» (Jean-Daniel Causse, Dossiers Débats
2000, ERF). Si les catholiques ont une vision assez stricte du couple
et de sa sexualité, les protestants ont des idées
plus souples. Il existe pourtant des cérémonies religieuses
(mariage, baptêmes) qui ponctuent la vie des familles, protestantes
comme catholiques. Mais pour les protestants, optimiser lamour
et le respect de chacun est préférable à une
règle rigide; ils sont donc libres de réfléchir
à dautres schémas.
Anne-Catherine Masson, pédopsychiatre et thérapeute
familiale, est confrontée, dans sa vie professionnelle, à
des familles déchirées, cassées, recomposées,
Elle voit des enfants en détresse, quelle estime de
plus en plus insatisfaits, incapables de subir la moindre frustration.
Elle réfléchit dans les pages qui suivent à
lévolution récente de la famille et de léducation.
Elle explique les risques des dérives actuelles, et ses craintes
pour lavenir.
M.-N. et J.-L. Duchêne
Les trois photos qui illustrent
ce cahier sont de Norbert Ghisoland
(Voir article).
© Marc Ghuisoland, Frameries (Belgique)
Nous remercions fraternellement
Marc Ghuisoland de son autorisation à reproduire ces
photographies faites par son grand-père.
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haut
Que sera la famille au XXIe siècle?
Pédopsychiatre, jai
été étonnée de voir depuis quatre ou cinq
ans une modification franche des comportements des enfants que je
rencontre; subitement, en effet, depuis lan 2000, une proportion
étonnante de ces enfants de 3 à 8 ans que leurs parents
mamènent en consultation pour des raisons variées,
présente des points communs précis: une grande réticence
à obéir, une mauvaise tolérance de la frustration,
et une incapacité à attendre. Ils veulent tout, tout
de suite, font la sourde oreille ou traînent quand on leur demande
de renoncer à leurs occupations, font une colère chaque
fois quils sont «contrariés». Jai dabord
évoqué un biais dans mon «recrutement».
Puis jai appris que mes collègues, les enseignants, les
moniteurs de sports et enseignants artistiques, les éducateurs,
étaient tous confrontés au même problème.
Par exemple, un professeur des écoles, enseignant en classe
de CP, me disait récemment quun tiers des élèves
de sa classe avaient un niveau «affectif» de 4 ans, malgré
un niveau intellectuel normal de 6 ou 7 ans. Cette tendance comportementale
se confirmant année après année, pour les enfants
nés après 1996, nous avons tenté den rechercher
les causes.
Nous avons dabord remarqué que cela était indépendant:
- du travail des mères
- du milieu social, professionnel, financier
- du sexe de lenfant
- du mode déducation reçu par les parents: ces
jeunes parents, nés autour de 1968, ont pour certains été
élevés avec laxisme (le «interdit dinterdire»
pour lequel sétaient battus leurs parents), pour dautres
de manière traditionnellement autoritaire.
La séparation des parents ne semblait pas non plus une cause
majeure en soi.
Les facteurs en jeu nous ont donc paru plus cachés, profondément
ancrés dans les inconscients des jeunes parents. Nous allons
tenter de les cerner, avant de décrire schématiquement
deux types des «nouveaux enfants» quils entraînent
et dimaginer quels adultes ils pourront être.
Évolution de la société.
Durant des millénaires, la société a été
très stable, malgré les guerres. Les familles traditionnelles
suivent, encore aujourdhui, le même principe: le passé
sert de modèle pour préparer les nouvelles générations
au futur, qui paraît ainsi prévisible. La famille traditionnelle
a pour fonction essentielle la transmission de la vie, des gènes,
du patrimoine, mais aussi de la mémoire, des coutumes et rites,
du «mythe familial». La survie du groupe repose sur lobéissance,
aux dépens des choix individuels. Les croyances religieuses
fortes font espérer la possibilité du bonheur dans lAu-delà.
Puis, à partir de la Révolution française, un
autre modèle de société est apparu parallèlement,
visant à élaborer un futur meilleur sur terre, pour
les générations suivantes, en sappuyant sur la
raison et la technologie. Dans les deux cas, le devoir est la valeur
essentielle transmise par les parents aux enfants. Le respect du devoir
est le prix à payer pour conserver sa place dans une communauté
dappartenance forte. Cest après la Première
Guerre mondiale qua commencé à émerger
lidée du caractère imprévisible de lavenir,
puis, plus récemment, la disparition de la croyance dans les
effets positifs du progrès. Le passé étant de
plus en plus disqualifié, cest sur le présent
seul que se fondent les familles contemporaines: elles pensent souvent
ne rien avoir à transmettre.
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Ce sont les enfants de ces familles, apparues vers 1965 dans tous
les pays occidentaux, que nous voyons arriver aujourdhui dans
nos consultations, peut être pas plus «troublés»
que les autres, mais certainement autrement «troublés».
Sur le plan de la société, globalement, limportance
prépondérante accordée au présent aujourdhui
a dautres conséquences:
- La diminution de limpact et des religions classiques (non
extrémistes) et des rituels sociaux,
- Lingérence croissante de la société
dans les familles, que le tissu social et familial élargi
ne régule plus, société qui est devenue très
sensible à toute violence.
- Enfin, et surtout la société daujourdhui
semble entièrement soumise au règne de largent.
Le capitalisme étant en train de se «mondialiser»,
ses défauts vont probablement sétendre aussi.
Le plus visible en est la «préconisation médiatico-publicitaire»:
les médias, et la publicité dont ils sont les supports,
ont créé un système pervers qui supprime lanalyse
des besoins par un individu lui-même, et la remplace par la
soumission à des suggestions séduisantes (souvent
au sens sexuel même) qui, en apparence, sont au service du
bien-être de lindividu, mais en réalité
sont au service des intérêts commerciaux et financiers
des entreprises. Lindividu, qui se pensait libéré
du Devoir, doit se créer une identité, en faisant
des choix réussis, dont il est responsable.
- Le principe central de notre société que transmettent
les médias est ainsi devenu la recherche du bonheur ici et
maintenant par «lépanouissement personnel»
de lindividu. Le seul péché semble de «ne
pas être heureux», évoquer les devoirs des individus
est devenu une transgression. Dans lhédonisme am-biant,
le milieu professionnel est de plus en plus dur, exigeant, sans
pitié, après loptimisme des «30 glorieuses»;
il est marqué par une grande instabilité et des rapports
superficiels qui demandent une adaptabilité, une flexibilité
et une soumission majeures.
Évolution des familles
«Réussir sa famille» est devenu laspiration
la plus fréquente, aujourdhui.
- La famille élargie reste importante: cependant, le mode
de vie urbain a supprimé tout le support matériel,
affectif et rituel quapportait «la parentèle».
Les grands-parents sont rarement un soutien, éloignés
géographiquement, pris par leur travail, leurs propres divorces
et nouveaux couples, leurs propres parents très âgés
(élément nouveau apporté par le gigantesque
bond qua fait lespérance de vie depuis 50 ans),
ou considérés hors course par la rapidité de
lévo-lution de la société.
- La «nouvelle conjugalité» est maintenant majoritaire
dans la région parisienne. Le couple nest plus institutionnalisé,
mais contractualisé, donc précaire, même sil
est toujours souhaité par les jeunes adultes. Ceux-ci, toujours
sous la pression des médias, attendent du couple le Bonheur,
jour après jour. Ils pensaient échapper à la
contrainte du mariage à vie, ne garder que «le meilleur»
et laisser «le pire»; ils ne peuvent éviter longtemps
les sacrifices quimpose la vie à deux quand on veut
en retirer une sécurité affective. Lémancipation
et le travail des femmes, les «nouveaux pères»
qui tiennent à être proches de leurs petits, ont beaucoup
apporté à léquili-bre des enfants: ce
sont les liens affectifs qui donnent un sens à lexistence.
Cependant, dans les familles traditionnelles, que ce soit le père
ou la mère qui dirige à lintérieur de
la maison, cela est clair pour chacun. Aujourdhui, il y a
souvent deux chefs qui se disputent le pouvoir dans la famille:
cela évite le despotisme, mais majore la fragilité
du couple, majore le pouvoir, la culpabilité et langoisse
des enfants, sujets et victimes de ces conflits. Les thérapeutes
familiaux ont ainsi inventé la «godille familiale»:
chaque parent est le chef alternativement 8 ou 15 jours, montrant
aux enfants le respect mutuel et la cohésion présents
dans le couple parental. Quand le «CDD» conjugal touche
à sa fin, parents et enfants ont un immense travail psychique
à faire: dabord un travail de deuil de «lancienne
famille», tout en tâchant de constituer une famille
«mono-parentale». Dans ce cas, lenfant, souvent
laîné, gagne une place de compagnon, de soutien
de ladulte qui a sa «garde» (souvent encore la
mère). La différence de génération sestompe,
avec les risques, séduisants pour lenfant mais fort
coûteux à long terme, davortement denfance.
Cest probablement ce qui explique les troubles surprenants
que présentent les enfants dont les parents se remarient,
après plusieurs mois de séparation.
La garde alternée, de plus en plus fréquente, est
une solution moderne à un problème qui remonte à
Salomon. Elle est certainement très déstabilisante chez
des enfants jeunes (avant 6 ans?). Chez les plus grands, elle peut
être une solution aux «conflits de loyauté»
que vivent ces enfants.
Avec maintenant plusieurs décennies de recul, sociologues
comme «psys» saccordent à penser que les
enfants de parents divorcés ne vont pas plus mal que les autres,
à condition impérative que chacun des deux parents sache,
quelles que soient sa tristesse ou sa colère contre son ex-conjoint,
respecter ses enfants, et donc respecter leur autre parent, et ne
pas utiliser ses enfants comme une arme contre cet ex-conjoint. La
séparation des parents confronte les enfants à leurs
tentatives de reconstitution dun nouveau couple; ils sont donc
souvent témoins de la sexualité, plus ou moins discrète
de leurs parents, à «lâge de latence»,
cest à dire à un âge où leurs investissements
scolaires et sociaux de-mandent un refoulement de leurs préoccupations
sexuelles, ou à ladolescence, où les circonstances
les placent en rivalité avec leurs propres pa-rents.
Il semble donc que ces nouvelles familles, qui
vivent avec lillusion du libre choix, soient soumises
à lobligation daimer, dêtre libre
et heureux: cette tyrannie du désir affaiblit les liens
dappartenance familiale et majore le sentiment dinsécurité.
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La fréquente instabilité de ces nouveaux couples confronte
les enfants à un, ou deux parents peu disponibles psychiquement,
et à des ruptures itératives avec ces «ami(e)s»
successifs de leurs parents, et avec les enfants de ceux-là.
Au bout de quelques années, ils ne tentent même plus
de sattacher aux cohabitants de passage.
Quand un couple stable se reforme, là encore, ladaptabilité
des enfants est mise à rude épreuve. Depuis des siècles,
des enfants sont soumis à des ruptures dans leurs «figures
parentales»: des enfants étaient confiés à
des proches ou des nourrices pour plusieurs années, puis repris
par leurs parents bio-logiques. La fréquence des décès
les confrontait à des beaux-parents souvent décrits
comme rejetants, voire mal traitants. Les séquelles de ces
ruptures successives peuvent être graves. Notre époque
les confronte à une pluri-parentalité simultanée:
ces enfants ont en même temps un père et un (voire plusieurs)
beaux-pères, une mère et une (voire plusieurs
)
belles-mères. Ils ont parfois une dizaine de (beaux) grands-parents.
Leur adaptabilité est aussi mise à rude épreuve
autour des nouvelles fratries: entre leurs demi-frères et surs
(et leur demi-chien
), et leurs «quasi» frères
et surs, (enfants du premier couple de leurs beaux-parents),
ils peuvent passer dun rang daîné à
celui de cadet, en fonction des jours
Ceux qui vont bien, à
qui les adultes ont clairement expliqué la situation, se repèrent
parfaitement bien dans ces généa-logies psychiques et/ou
biologiques. Mais nest-ce pas trahir papa que daccepter
que le nouveau compagnon de maman fasse un foot avec moi? Chaque nouveau
couple «bricole» le type de relation que va avoir le beau-parent
avec les enfants du premier lit, et cette relation est souvent évolutive
dans le temps, les sentiments de chacun étant très complexes.
En fonction de son âge, et de son expérience de la parentalité,
le nouveau conjoint aura plus ou moins envie de sinvestir dans
un rôle éducatif vis-à-vis de ces enfants qui
ne sont pas les siens. Mais le parent biologique lui refuse parfois
ce rôle, quil (elle) avait déjà bien de
la peine à partager avec son premier conjoint. Et les enfants,
tiraillés entre leur loyauté à Papa et leur loyauté
à Maman, refusent souvent ce rôle au beau-parent. Souvent,
le nouveau couple cède pour se faire accepter, mais jusquoù
céder? Le «nouveau» doit-il se laisser insulter
pour être toléré? Cependant, mon expérience
des couples recomposés après un veuvage me montre les
grandes difficultés quils ont aussi, en raison dune
culpabilité qui peut être encore plus vive vis-à-vis
du parent décédé.
«Lhomo-parentalité» est une autre facette
de ces problèmes. Les quelques enfants que jai vus dans
ce contexte, paraissaient aller bien, mais ils étaient élevés
par des parents homosexuels très motivés et attentifs.
La multiplication des familles homosexuelles va probablement voir
augmenter le nombre des parents homosexuels fragiles psychologiquement,
ou en conflits (qui paraissent fréquents et très passionnés
dans ce milieu) et donc les difficultés se reporter sur les
enfants.
Il semble donc que ces nouvelles familles, qui vivent avec lillusion
du libre choix, soient soumises à lobligation daimer,
dêtre libre et heureux: cette tyrannie du désir
affaiblit les liens dappartenance familiale et majore le sentiment
dinsécurité.
Évolution de léducation.
Que les parents forment un couple traditionnel, apparemment durable,
ou un couple éphémère en fonction de leurs désirs,
les principes éducatifs actuels ont beaucoup de points communs.
Les quelques parents traditionnels qui tentent encore de résister
sexposent ainsi à de grandes difficultés, car
ils sont amenés à se rigidifier pour maintenir leurs
positions, alors que, même sans télévision, ordinateur,
ni Internet, même dans des écoles religieuses «hors
contrat», leurs enfants sont fascinés par ce que vivent
«les autres», quils idéalisent terriblement.
La majorité des jeunes parents, quils aient été
élevés de manière traditionnelle ou «soixante
huitarde», se fient moins à ce que leur ont transmis
leurs parents, ou à leurs réflexions, quaux médias
dans leur recherche dun modèle éducatif.
Les idées centrales en ont été énoncées
par Françoise Dolto, il y a cinquante ans. Elles ont apporté
des bouleversements très positifs dans léducation
des enfants. Malheureusement, ces idées ont été
schématisées, figées, et ces principes novateurs
sont devenus aujourdhui des problèmes majeurs. «Lenfant
est une personne»: il est devenu un enfant roi; «il faut
parler aux enfants»: les mères daujourdhui
parlent tellement que les enfants ne les écoutent plus, elles
ne savent plus faire les gestes, utiliser les tons de voix in-dis-pensables
pour se faire obéir par un jeune en-fant, et donc lui apprendre
à obéir.
En outre, les parents en détresse sen autorisent pour
se permettre de «tout dire» à leurs enfants: il
y a beaucoup moins de secrets de famille toxiques, mais beaucoup plus
de confidences, toxiques dune autre manière
Les nombreux magazines tournés vers les familles et les enfants
ont longtemps orienté leurs articles dans le sens dominant
de la société («comment laider à
sépanouir»). Depuis quelques mois, ils semblent
revenir vers des principes éducatifs plus traditionnels («comment
lui dire non»), tout en confrontant les parents, dans les publicités
encartées, avec les messages subliminaux inverses («faites
vous plaisir», «le temps ne compte plus»).
Lalliance de ces modifications sociales et des modifications
familiales ont des conséquences majeures dans léducation
des enfants. Lhédonisme en est devenu le repère
central, les parents disant rechercher «lépanouissement»
de leur enfant en premier lieu. Ils sont de plus en plus nombreux
à être terrifiés à -lidée
que leurs enfants souffrent dinconforts minimes ou leur en veuillent,
et ne les aiment plus sils imposent quoi que ce soit. Dans ces
systèmes consensuels, les parents tentent de faire fonctionner
la famille comme une démocratie, le lien adultes/ enfants paraît
symétrique jusquau moment où les parents, qui
ne veulent pas renoncer à leur épanouissement à
eux, ne supportent plus, et recourent au marchandage, à la
séduction ou à la force. Les explosions de colère
dun parent sont inconstamment efficaces, mais toujours très
coûteuses en temps, en énergie, et en estime delle-même
pour lensemble de la famille. Les enfants intègrent ces
types de résolution des conflits, ce qui explique laugmentation
de la violence en milieu scolaire. Beau-coup de parents demandent
devant moi à leur enfant, à la suite de notre entretien,
sil veut bien désormais accepter quils lui fixent
des limites, sil veut bien quils léduquent!
Ces parents nont pas intégré que les conflits
sont inévitables dans toute relation: les conflits nentraînent
pas la destruction du lien affectif, ils contribuent à le construire.
La philosophe Hanna Arendt faisait bien la différence entre
autorité, contrainte (par la force) ou la persuasion (par le
raisonnement ou la séduction). Lautorité réside
dans la reconnaissance de la hiérarchie, cest--à-dire,
dans une famille, dans la reconnaissance de la différence entre
parents et enfants.
Une autre caractéristique de la vie enfantine actuelle est
lexposition précoce à la sexualité adulte.
En effet, les parents en pleine «lune de miel» lors de
leurs rencontres amoureuses après une séparation, ne
préservent guère le mystère de leur intimité.
La symétrie des relations pousse les parents attendris à
nommer «fiancé» ou «lamoureuse»
lami(e) de leur enfant lorsquil a des amitiés fortes.
La prohibition de linceste devient problématique dans
les familles recomposées. Sur le plan de la société,
la télévision et les publicités dans la rue,
le métro, sur les kiosques à journaux exposent les enfants,
souvent sans commentaires des parents, aux images dadultes demi-nus
dans des positions séductrices, aux protections féminines,
à la Gay Pride, aux séries américaines de plus
en plus suggestives, sans parler du développement de la pornographie.
Enfin, en milieu scolaire, comme dans les familles mêmes, les
«cours» déducation sexuelle, prévention
du SIDA ou de la pédophilie ont forcément comme inconvénient
majeur lexposition prématurée des enfants à
ce quil y a de plus noir dans la sexualité humaine. Il
semble que parents et enfants, comme toute la société,
tendent vers une adolescence interminable.
Les nouveaux enfants.
Aujourdhui donc, les éléments sociaux didentification
des individus sestompent, (lon ne peut plus dire quon
est «cheminot» ou «de son village»). Le couple
devient un élément majeur pour les individus: ce poids
le fragilise (plus on en attend, plus on risque dêtre
insatisfait), les couples sont de plus en plus instables. Le poids
retombe souvent sur le ou les enfants. Ceux-ci sont de moins en moins
«névrotiques» (cest à dire souffrant
de la répression de leurs désirs sous la charge de lautorité
parentale, puis du Devoir). Les nouveaux enfants sont schématiquement
de deux types: tout-puissants ou «parentifiés».
Les enfants tout-puissants.
Ces enfants nont pas pu renoncer aux privilèges du
bébé: en effet, un nouveau-né est toujours le
roi. L«obéissance» des adultes à ses
besoins matériels est la condition essentielle à sa
survie et leur reconnaissance de lenfant constitue le fondement
de son estime de lui-même. Puis entre deux et quatre ans, grâce
aux petites frustrations que les parents «traditionnels»
lui imposent, il renonce à cette toute-puissance pour intérioriser
les interdits, la loi, la réalité, le respect des au-tres,
le caractère irréversible du temps qui passe
et
gagner la sécurité dappartenir à sa famille.
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Le franchissement de cette étape est devenu très inconstant
aujourdhui. Ces enfants ne supportent pas dattente, ni
de manquer. Ils veulent tout, tout de suite, leur dépendance
à lenvironnement est grande. Et quand linévitable
frustration survient, ils présentent une détresse pathétique,
des colères explosives qui peuvent les mettre en danger, ou
des phobies durables, avec un évitement des situations problématiques
(phobies scolaires, phobies des apprentissages
). En effet, un
cercle vicieux sinstalle entre le comportement tyrannique, et
les sentiments dangoisse et de culpabilité. Souvent,
cest lécole qui tire le signal dalarme dès
la maternelle, quand à ces signes sassocient des difficultés
relationnelles avec les pairs, à type de violence plus souvent
que dévitement.
À ladolescence, on constate chez ces individus quils
nont pas acquis de sens moral (ils sarrêteront au
feu rouge car ils voient des gendarmes, ou une voiture qui arrive,
et non par respect pur). Leur fragilité narcissique les rend
très dépendants de lenvironnement: ils sont la
cible principale des publicitaires, qui savent bien que les enfants
sont devenus les principaux décisionnaires des achats familiaux.
La recherche de stimulations leur permet de continuer à vivre
dans le moment présent, sans passé, vécu comme
aliénant, ni futur, incertain. La fragilité du lien
familial dans ces familles contemporaines complique en effet les processus
de séparation, particulièrement en jeu à ladolescence.
Cependant, dans cette nouvelle temporalité, tout échec
est dramatisé, le risque de tentatives de suicide est donc
grand.
Cependant, lavantage de ce type déducation est
quelle réduit considérablement la culpabilité.
Le système consensuel de relations familiales favorise aussi
la capacité des enfants à saisir les situations, à
argumenter, en fonction du point de vue de lautre.
Les enfants parentifiés.
Ils ont pu être élevés avec une logique consensuelle,
mais la souffrance, voire la désorganisation psychique de leur
parents ont été telles quen fait, ils ont accepté
la réalité, et se sont éduqués eux mêmes
et pris en mains, avant de prendre en main un ou deux parents, voire
leurs frères et surs. Leurs responsabilités écrasantes
les rendent hyper-anxieux, vigilants, insécurisés; ils
se sentent responsables, et se culpabilisent de tout. Bien sûr,
cela favorise leur autonomie, leur hyper-maturation. Les multiples
recompositions familiales quils rencontrent souvent leur ont
appris la relativité des règles de vie, la solidarité
et les apprentissages entre pairs, mais ils ne pourront en bénéficier
que sils ont été bien accompagnés par des
adultes dans ces épreuves, ce qui est rarement le cas de ces
enfants parentifiés.
Tout-puissants ou parentifiés, ces enfants auront été
dabord admirés, adulés, vénérés,
avant dêtre descendus de leur piédestal: la déception,
voire la rage des parents contre leurs enfants «pas à
la hauteurde leurs espérance» seront à la mesure
des attentes quils avaient placées en eux.
Le futur
Nous entrons là dans un domaine spéculatif, forcément
fait dhypothèses.
Linconvénient majeur du modèle
traditionnel est le manque de respect des particularités
et de la créativité des individus, et sa faible
adaptabilité à un monde qui évolue de plus
en plus vite. Le modèle contemporain a pris le contre-pied,
sans doute de manière trop entière.
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Nous craignons de voir apparaître, dans vingt ans, trois grands
types dadultes:
- des adultes névrotiques, les «normaux» daujourdhui,
souvent englués dans leurs conflits intérieurs,
- des adultes insatisfaits, dépendants des choses et des
gens (voire toxicomanes), dépressifs, soumis à des
explosions de colères,
- à côté dadultes bien intégrés
socialement, au cynisme efficace, privés de sens moral, ne
sintéressant aux autres que dans la mesure où
ils peuvent leur être utiles, chez qui tous les moyens sont
bons pour obtenir ce quils désirent ( force, marchandage,
ou séduction).
Le problème sera sans doute celui de nos outils de travail
thérapeutiques, les anciens risquant dêtre trop
souvent obsolètes: les thérapies psychanalytiques aident
à résoudre des conflits névrotiques, entre soi
et soi-même. Les thérapies familiales, qui sappuient
sur la transmission verticales dans les familles risquent également
dêtre insuffisantes chez les adultes. Les médicaments
et thérapies cognitives comportementales ne rendront pas le
sentiment profond du respect de lautre.
Que faire?
Aujourdhui, seule la prévention
nous est accessible. Les familles daujourdhui sont donc
tiraillées entre le modèle traditionnel et le modèle
contemporain. Le modèle traditionnel reste encore assez idéalisé,
bien que le vingtième siècle ait cherché, à
tort, à en reproduire le schéma aveuglément,
sans tenir compte du changement de société majeur que
constitue lénorme augmentation de lespérance
de vie. En effet, il y a deux cents, ou même cent ans, les veuvages
très fréquents (dus aux décès accidentels,
militaires, ou obstétriques) réduisaient considérablement
la durée moyenne de la vie conjugale, qui nétait
guère plus longue quaujourdhui, pour dautres
raisons. En outre, ces couples «pour la vie» étaient
parfois allégés par la séparation de corps (qui
a même été préconisée par lÉglise
catholique), et par ladultère (qui, lui, était
interdit). Les structures familiales «horizontales» existaient
déjà, où les enfants étaient élevés
en groupes de frères, surs, cousins, apparentés,
voire bâtards, et enfants de serviteurs, léducation
en étant déléguée à quelques adultes
(parents, tante, nourrice, ou «bonne» comme dans les ouvrages
de la Comtesse de Ségur). Le schéma «père-mère-enfants»,
idéal du milieu du vingtième siècle, est très
ponctuel dans lhistoire de lhumanité, et dans le
monde. Linconvénient majeur du modèle traditionnel
est le manque de respect des particularités et de la créativité
des individus, et sa faible adaptabilité à un monde
qui évolue de plus en plus vite. Le modèle contemporain
a pris le contre-pied, sans doute de manière trop entière.
La meilleure solution que nous puissions imaginer serait la fusion
de ces deux grands modèles, faisant émerger une morale
déquilibre entre linterdit et la libération
du désir qui tienne compte des besoins très différents
des adultes et des enfants, du respect des différences générationnelles.
Ainsi, les membres dune famille pourraient inventer de nouvelles
règles qui permettent à leurs enfants de se construire
psychiquement en étant respectés, tout en leur apprenant
le respect du bien-être commun, garant de leur appartenance
familiale et sociale. La multiplication des guidances parentales pourrait
permettre daider les familles dans ce «bricolage»
en attendant quun modèle «automatique» se
mettre en place.
De toute façon, il faudra que les sociétés
occidentales sengagent dans un processus parallèle, réduisant
la puissance de largent et du pouvoir, pour retrouver un sens
moral, religieux ou humaniste.
Docteur
Anne-Catherine Masson
haut
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