![]() |
![]() |
||||||||||||||||||||||||
![]() |
![]() |
![]() |
||||||||||||||||||||||
|
« Ne faut-il pas redécouvrir lhomme Jésus de Nazareth, en refusant toute divinisation préalable de sa personne, en oubliant les représentations iconographiques et les récits mythologiques de sa naissance et de sa vie qui biaisent limage dhomme quil a été ? |
Il est aujourdhui difficile de soutenir que le monde a un sens. Il y a déjà plus dun siècle Marx, Nietzsche et Freud ont jeté le discrédit sur toute visée spirituelle. La succession des guerres mondiales et leur violence extrême laissent à penser que le penchant brutal de lhomme lemporte toujours. Lindividualisme égoïste, les nationalismes effrénés, les multiples corporatismes et sectarismes sont universellement présents, alors que la mondialisation pouvait laisser espérer une ouverture et un enrichissement des cultures. Les repères traditionnels et les interdits fondamentaux sont bafoués de sorte que se pose toujours la question de Sartre : comment « ces sous-hommes que nous sommes » pourront-ils un jour devenir des hommes ?
Lhomme ne peut pas se passer de lespérance dun devenir. Il se doit dêtre ouvert sur le monde, sur les autres pour pouvoir donner et recevoir lamour auquel il aspire. Il revendique lunicité de sa personnalité, de sa responsabilité ; il veut sa liberté tout en ayant consci-ence de dépendre totalement de son environnement. En fait, il est en quête dune transcendance qui donne sens à sa vie et qui le consacre « homme ».
Les religions devraient être pour lui la source de cette ouverture et de cette quête en proposant un idéal de vérité, damour ou tout simplement dhumanité. Hélas, les institutions et les intégrismes ont formulé des rites, des dogmes, un langage qui ont longtemps constitué un moyen de pouvoir et qui sont aujourdhui des causes de violences et de rejet des religions.
« Les hommes en quête de transcendance découvrent Dieu dans et par leur humanité ; les grandes figures des religions pourraient saccorder pour dire que le premier et le plus grand modèle dune humanité accomplie jusquau don de soi est Jésus. |
Ne faut-il pas redécouvrir lhomme Jésus de Nazareth, en refusant toute divinisation préalable de sa personne, en oubliant les représentations iconographiques et les récits mythologiques de sa naissance et de sa vie qui biaisent limage dhomme quil a été ? En effet, les textes bibliques rapportent les convictions des fidèles de Jésus en leur temps et ceci souvent de ma-nière symbolique. Il convient donc de les réinterpréter et de constater avec G. Casalis (Culture et Foi n°118) que « posée comme postulat, la divinité masque le visage de Jésus mais, découverte comme résultat de la confrontation à son exceptionnelle, quoique tout à fait commune, humanité, elle exprime bien ce quil y a dunique dans sa personnalité ».
Jésus a été pleinement homme ; son comportement, le don de sa personne jusquà la mort, les faits et paraboles quon rapporte de lui manifestent son humanité authentique, si parfaite quelle rejoint, sans jamais véritablement latteindre, ce que nous appelons le « divin ». Chaque homme, dans la trace de Jésus, a pour vocation de tendre vers cet idéal quil représente : lHomme dans son humanité accomplie, homme libre, vrai, autonome, homme amour qui découvre au profond de lui cette « parcelle divine » quévoquent les orthodoxes et les mystiques de toutes les confessions.
Cest ce que déclare Paul : « Je vis, mais ce nest plus moi, cest Christ qui vit en moi. » (Ga 2,20) et ce quaffirme Jésus dans la promesse de libération quil fait aux juifs qui ont cru en lui : « Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples, vous connaî-trez la vérité et la vérité fera de vous des hommes li-bres. » (Jn 8,32). Être disciple de Jésus engage lhomme dans la voie de lhumanité. Loin de séparer lhomme du Dieu de lAncien Testament (« Je suis Dieu et non pas homme », Os 11,9), cette voie conduit lhomme à ressentir Dieu au profond de lui.
Marcel Légaut (Introduction à lintelligence du passé et de lavenir du Christianisme, Paris, Aubier, 1970) va dans le même sens : « Par son humanité, Jésus est le chemin pour amener les hommes à croire en Dieu comme lui a cru, et il est le but à atteindre qui permet aux croyants dêtre de Dieu comme lui le fut dans son humanité. » Le mystère de la rencontre et de la communion avec autrui permet à lhomme de faire lapproche du sens de sa vie et de saccomplir. Cest parmi les hommes quil rencontre, quil côtoie, quil aime, que lhomme prend conscience de sa « carence dêtre » ; il découvre un peu de sa véritable humanité et le « Dieu-Humanité » cher au philosophe N. Berdiaev. Lhomme nest lui-même que par les autres qui lui permettent dacquérir la liberté de se prendre en main et dêtre sujet.
Dans Devenir humain (Paris, Cerf, 2004), Yves Burdelot affirme que cest lhumanité de Jésus qui permet au chrétien dentrevoir le Dieu quil qualifie de Père : « Non seulement laffirmation chrétienne ne part pas de la conviction que Dieu existe pour déduire ce quelle nomme la divinité de Jésus. Mais cest en reconnaissant lexistence humaine de Jésus et en adhérant au type dhumanité sans faille quon est invité à croire à lexistence dun amour éternel et personnel comme tout amour véritable quà notre tour nous nommerons Dieu. »
Cette voie chrétienne nest pas la seule capable damener lhomme à concevoir ce que nous nommons Dieu en lincitant à accomplir sa pleine humanité.
Dans lIslam, le djihâd majeur, personnel et spirituel, (non le djihâd mineur de la guerre contre les infidèles) offre la même possibilité. Mis à lhonneur surtout par les soufis, il consiste en un effort sur soi-même pour lutter contre les passions individuelles, les intérêts égoïstes et approcher ainsi dune plus grande humanité. Eva de Vitray-Meyerovitch (Islam, lautre visage, Paris, Albin Michel, 1995) écrit à propos dIqbal, grand philosophe et poète pakistanais, ami de Teilhard de Chardin : « Il croit en lhomme. [ ] Cet homme, il le voit devenir, au terme de lévolution, cet homme parfait dont parlent les soufis, cest-à-dire lhomme accompli qui sait utiliser la plénitude quil a acquise pour aider les hommes dans leur marche en avant. »
Le maître bouddhiste Dainin Katagiri déclare dans Retour au silence (Seuil, Paris, 1953) : « Parce que vous êtes Bouddha, vous êtes à la recherche du suprême, même si vous ne comprenez pas ce que cela signifie. » Confucius développe la notion de Jen qui est à la fois noblesse du ciel et dignité de lhomme. Par le Jen lhomme se trouve en relation avec linfini mais aussi avec tous les hommes : il peut ainsi approcher la stature dhomme véritable.
Dans Christianisme et Religion chinoise (Paris, Seuil, 1991), Julia Ching et Hans Küng citent le poète contemporain Yang Lian qui sattache à redécouvrir les anciennes traditions religieuses avec Dunhuang, étape importante de la route de la soie. Voici un extrait de son poème Pèlerinage :
« Toi, Sanwei Shan, en chemin pour nulle part,
Gigantesque miroir de cuivre
Toi qui surpasses la mesure de lhomme.
Entends le chur des curs à qui des générations
ont confié leurs rêves
Réfléchis en profondeur, puis lève la tête
Et compte les étoiles qui ne supportent pas de séteindre
en solitaires.
Ce sera la meilleure consolation
Le saint reste éternellement pacifique. »
J. Ching et H. Küng commentent : « Le poète savait-il que dans les grottes de Dunhuang on a retrouvé aussi, à côté décrits bouddhiques, des textes théologiques de chrétiens nestoriens : témoignages du plus ancien christianisme en Chine ? »
Les hommes en quête de transcendance découvrent
Dieu dans et par leur humanité ; les grandes figures des religions
pourraient saccorder pour dire que le premier et le plus grand
modèle dune humanité accomplie jusquau don
de soi est Jésus.
Bienvenue |
|
|
Numéro 188 |
|