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«Que cherchent les gens lorsquils viennent à léglise ? Le plus souvent, ils souhaitent entendre parler deux, de ce qui les pré-occupe, de ce qui les intéresse au premier chef. Un pasteur se doit donc dêtre tout dabord à lécoute de ses paroissiens, de discerner leurs attentes, leurs envies et leurs besoins.» |
Être pasteur libéral dans une paroisse qui affirme clairement sa position libérale na rien de sorcier. Mais être pasteur libéral dans une paroisse quelconque, ou dans une paroisse à majorité évangélique est une autre paire de manche. Comment vivre sa théologie libérale sans être sans cesse en confrontation directe avec les paroissiens, ou en désaccord profond avec sa foi?
Que cherchent les gens lorsquils viennent à léglise ? Le plus souvent, ils souhaitent entendre parler deux, de ce qui les préoccupe, de ce qui les intéresse au premier chef. Un pasteur se doit donc dêtre tout dabord à lécoute de ses paroissiens, de discerner leurs attentes, leurs envies et leurs besoins. Les paroissiens souhaitent être cherchés et trouvés. On parle du manque de bénévoles, mais cest en partie parce que personne na jamais osé demander à tel ou tel de faire telle ou telle chose.
Les gens qui viennent à lÉglise demandent quon sintéresse à eux, quon les devine, quon les comprenne ; ils demandent quon pressente en eux lune ou lautre capacité, lun ou lautre intérêt, ou souci, ou besoin. Ils demandent que leur pasteur soit à leur écoute, et soit daccord au moins avec une grande partie de ce quils pensent et surtout de ce quils croient. Car il est souvent difficile à un paroissien de contredire son pasteur. Limage qui veut que le pasteur soit dépositaire de la « vraie foi » est tenace : si le pasteur le dit, cela doit être vrai. Si le pasteur dit donc exactement le contraire de ce que croit ou pense le paroissien, celui-ci nest pas trouvé, il nest pas rejoint dans sa vie. Il ny a pas correspondance entre le pasteur et lattente de ses ouailles.
Cette non correspondance se rencontre forcément dans nimporte quelle paroisse avec nimporte quel pasteur. Mais je pose aujourdhui la question : quelle est lattitude dun pasteur de tendance théologique libérale dans ce cas ? Comment vivre sa théologie libérale dans cette situation ?
La non-correspondance des opinions théologiques se vit dans les entretiens individuels, dans les études bibliques ou les différentes réunions de la paroisse. Il y a un lieu où elle se vit plus drastiquement encore : cest celui de la prédication. La prédication est un merveilleux dialogue, intimiste, chuchoté à loreille des personnes qui sont présentes dans le lieu de rassemblement. Cest un échange, où certes lun parle et les autres se taisent, mais cest un échange.
Une tête qui se lève, un sourire sur un visage, une désapprobation de la tête, un questionnement dans les yeux sont autant de messages renvoyés directement au prédicateur. Un silence lourd aussi, et plus particulièrement un manque de réaction total de la part de lauditoire. Dans ce dernier cas, vous savez que vous passez totalement à côté des attentes de vos paroissiens, soit que vous leur parliez dun sujet quils ne comprennent pas, soit quils se sentent en désaccord avec votre ligne de pensée. Ils semmurent alors dans le silence, ils ferment leurs oreilles pour ne pas avoir à subir ce discours qui ne les atteint pas. La messe est alors dite, et la parole du prédicateur na pas rejoint les auditeurs dans leurs préoccupations, ni dans leur foi.
Un pasteur libéral face à un auditoire à tendance évangélique, pour ne citer que cet exemple de tendances théologiques divergentes, se trouve plus souvent quà son tour devant un silence emmuré. Que faire alors pour rejoindre les gens, que faire pour quun message passe, pour quun dialogue sinstaure ?
Nous sommes ici au cur de la question : quest-ce quêtre libéral ? Comment vivre, comment mettre en pratique sa théologie libérale ?
Théologiens ou béotiens en la matière, orthodoxes et libéraux ont besoin les uns des autres, les libéraux pour éviter de succomber à je ne sais quelle enflure de leur propre appréciation des choses, les orthodoxes parce qu'ils ne seraient que trop portés à restreindre la liberté d'autrui et à tenir leurs options pour intangibles.» Bernard Reymond, Sur les traces des théologies libérales, Van Dieren Editeur, 2002, p.57-58. |
Il y a une différence, me semble-t-il, entre le fait de penser une théologie libérale et le fait de la vivre en tant que pasteur dans une paroisse. Défendre une pensée libérale face à une pensée orthodoxe ou évangélique est un exercice intellectuel, que lon peut partager avec des personnes de même niveau intellectuel. Vivre une théologie libérale dans une paroisse où, forcément, tout le monde na ni la même formation, ni les mêmes capacités de réflexion, est un tout autre exercice. Surtout si lon considère que le rôle du pasteur est de permettre à ses paroissiens de trouver toujours et encore le chemin qui mène à Dieu, de chercher les voies qui mènent à une communion plus grande avec Dieu, qui essaient de se rapprocher de ce que Dieu a voulu pour lêtre humain.
La provocation ici na pas lieu dêtre. Être libéral ne veut pas dire être libertaire, être libéral ne veut pas dire que lon puisse tout se permettre, parce quon est libre, libre desprit. Le chapitre 8 de la première épître aux Corinthiens met le doigt sur un élément essentiel de la pratique de la foi, et de la liberté quelle peut nous donner: ne pas mettre en danger le plus faible que soi. Traduit dans notre perspective, cela donne : ne pas mettre en danger celui qui croit autrement, ne pas choquer, au risque déloigner de la vie de foi, ou de la vie de lÉglise.
Pour autant, saccommoder de la pensée théologique et de la manière de croire de ses paroissiens, en allant à lencontre de ses convictions, paraîtra hypocrite, ou sera ressenti comme tel. Linadéquation entre le discours et la pensée sera perçue, dune manière ou dune autre.
Ce qui me paraît fondamental, dans lessai de vivre sa foi libérale en tant que pasteur de paroisse, cest dinsister sur la liberté. Liberté de la foi, liberté de celui qui croit, libération de celui qui croit.
La foi, à mon sens, ne doit pas étouffer la respiration de celui ou celle qui tente dy accéder et qui essaie de la vivre. Dieu a voulu lêtre humain libre, et ce nest pas à la foi denfermer le croyant dans un carcan de règles et de morales, de bonnes pensées et de bonnes actions. Face à ce bouquet de tendances théologiques diverses au sein dune communauté, face à ces opposés et ces contraires qui se rassemblent pour un culte, il y a lieu, je crois, de donner sa place à toutes ces tendances, de les écouter, de les prendre en considération, puisquelle sont parties des individus. Il y a lieu daccompagner ces fois différentes, de les laisser sexprimer, même si elles vont à lencontre totale de ma théologie, même si jai tendance à vouloir les ignorer ou les mettre de côté, parce que je ne les comprends pas.
Ma liberté en tant que pasteur libérale est de chanter ma louange à Dieu pendant une heure ou deux avec des chrétiens évangéliques, de ne pas parler de Dieu avec les athées, de « dire la messe » sil le faut une fois ou lautre un dimanche matin, et de réunir tout cela en un bouquet, comme pour montrer que la foi peut se vivre différemment, mais quelle doit mener à un seul but : la liberté de lêtre humain devant les difficultés de la vie, la liberté de choisir Dieu par rapport au reste. Ma liberté est de vivre avec tout le monde, dinsérer toutes ces personnes aux vécus si opposés avec Dieu dans ma prédication et dans mes actes.
Vivre ma théologie libérale, cest
ne pas limposer aux autres, mais leur proposer une manière
de vivre et un chemin qui mène à la liberté voulue
par Dieu.
Bienvenue |
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Numéro 183 |
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