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Le Général de Gaulle au balcon de l'Hôtel de ville de Québec en juillet 1967 |
de cette distinction peut savérer utile dans le contexte du dialogue inter-religieux. Car de même que Charles de Gaulle ne fut pas le seul général de lhistoire de France, Jésus nest pas le seul Christ. Il népuise pas, à lui seul, la possibilité dautres Christs. Et de la même manière que certains peuvent estimer que de Gaulle a su porter cette fonction militaire à son plus haut degré dexcellence et quil sest entièrement consacré à sa fonction, nous pouvons postuler que Jésus fut un parfait Christ, que son existence fut entièrement consacrée à lexercice de sa fonction, que le tout de ce que nous savons de sa vie à travers les évangiles fut structuré par la présence agissante de Dieu.
Comme ce propos semble déjà le suggérer, la mention du « général de Gaulle » est aussi précieuse pour faire comprendre une manière originale et pertinente de penser lincarnation. Le théologien britannique John Hick sy est lui-même essayé dans ses Auburn Lectures, une série de conférences sur le pluralisme religieux publiée sous le titre The Rainbow of faiths (Londres, SCM Press, 1995). Refusant de baigner en pleine mythologie et de penser que Dieu serait descendu du ciel pour se glisser dans un corps dhomme, John Hick, à la suite de beaucoup dautres dont John Cobb ou Paul Tillich, considère que Jésus-Christ incarne la volonté de Dieu, exactement comme le général de Gaulle incarne lesprit de la résistance ou, à certain moment, la France. Il sagit donc ici de penser lincarnation dune manière métaphorique. Jésus est le Christ en tant quil incarne la parole de Dieu, en tant quil révèle ce que Dieu veut nous dire et rend celui-ci plus proche, plus vrai, plus crédible. Jésus nincarne pas Dieu en vertu dune naissance qui serait plus extra-ordinaire et miraculeuse que nimporte quelle naissance et qui ferait de lui un être hybride, pour ne pas dire un « monstre ». Jésus incarne Dieu en vertu de lintensité de la présence de Dieu en lui. Une telle conception de lincarnation a le mérite de ne pas la réserver à Jésus. Ce dogme peut ainsi être une manière de rendre compte de la présence agissante et transformatrice de Dieu dans tous les éléments du cosmos. Lincarnation concerne la totalité du réel, des humains, des animaux, des végétaux, des minéraux, dans la mesure où Dieu lui-même est présent au monde et lenrichit sans cesse de nouvelles possibilités. Comme le dit le philosophe Whitehead : « le monde vit de lincarnation de Dieu».
Le général de Gaulle vient encore au secours de la théologie pour illustrer cette opposition si utile entre pouvoir et puissance. Cest Alain Houziaux qui a tenu ce propos lors dune journée théologique organisée par ses soins à la suite de la publication de son ouvrage intitulé Les grandes énigmes du Credo (chez Desclée de Brouwer, Paris, 2003). À Londres, de Gaulle na aucun pouvoir, il ne peut pas, de lui-même, imposer quoi que ce soit à la politique de Vichy et empêcher loccupation. Sans pouvoir, de Gaulle fait pourtant preuve dune puissance certaine, à travers sa capacité à mobiliser, à redonner de lespoir, à motiver à laction. Cette opposition est fructueuse en théologie pour montrer que si Dieu ne peut pas tout, il nest pas pour autant impuissant. Si Dieu ne peut pas changer le monde en Royaume de Dieu, il nous appelle à rendre son Évangile vivant, nous encourage à désirer un monde plus juste et plus harmonieux, à lutter pour une existence heureuse et épanouie. Sa puissance de mobilisation se vérifie ainsi à chaque fois que lÉvangile de libération nest pas une lettre morte. Lorsque nous posons un acte de solidarité à légard dun autre, nous contribuons à faire que le projet de Dieu pour lhumanité se réalise, et nous témoignons par là-même de sa puissance de persuasion et dencouragement. Lorsque la lumière est apparue, ce fut bien la réponse de la lumière à ce puissant appel de Dieu : Que la lumière soit !
Il est aussi utile de se référer au général de Gaulle pour montrer à quel point labsence peut devenir, dune manière surprenante et inattendue, un formidable vecteur de désir et de foi. Un collègue pasteur me rappelait tout récemment que cest bien lorsque le général disparaît pendant les événements de mai 68 quil est ramené, par certains, de force à Paris et rappelé au service de la France. Cest son absence qui révèle curieusement sa nécessité et impose son retour. La foi en Dieu implique son absence ! Comment pourrions nous croire ce que nous voyons de nos yeux, ce qui se laisse constater et qui relève bien plus dun savoir que dun croire ? Croire, cest pouvoir douter ; accepter linconfort de lincertain. La force de la foi tient à sa résistance aux seules lois du palpable, du visible et de la présence sûre. Les fêtes de lAscension et de la Pentecôte ne célèbrent-elles pas précisément un Dieu toujours ailleurs ? Un Dieu absent, qui nest pas disponible et à portée de main, qui résiste à toute forme dobjectivation, relativise aussi tout discours religieux. Nous pouvons toujours lemprisonner dans nos confessions de foi et en parler comme sil était assigné à demeure dans nos Églises et nos prédications mais est-ce encore Dieu ?
Nous relèverons enfin que le général de Gaulle sert à expliquer une théologie chrétienne enfin libérée de ce cruci-centrisme qui lassèche et lappauvrit trop souvent. Cest encore André Gounelle
Ex-libris du Général de Gaulle, la croix de Lorraine brise lemblème nazi |
qui ose, non sans humour, largument imparable : « Que dirions-nous [ ] dun gaulliste qui ne voudrait parler que de la crise cardiaque dont le général est mort ? » (dans Parler du Christ, Paris, Van Dieren éditeur, 2003, page 49). Or nest-ce pas précisément ce que nous faisons lorsque nous ne retenons de Jésus-Christ que sa mort sur la croix ? Comme si le plus vital pour nous dans notre foi nétait pas le contenu de sa prédication et de ses actes mais simplement sa mort ! Cest bien là que réside lune des grandes faiblesses du Symbole dit des Apôtres ou de la Confession de foi de Nicée-Constantinople que de ne retenir de Jésus que sa naissance et sa mort Nous pourrons toujours objecter que la croix est essentielle pour révéler un Dieu vaincu et pour nous permettre, nous-mêmes, de nous accepter dans notre fragilité et dans notre impuissance. Mais systématiser la croix, nest-ce pas se placer sous le coup dune crucifixion permanente ? La croix est, certes, ce scandale qui nous fait tomber de haut (le « scandale » est étymologiquement ce qui fait tomber), nous révèle dans notre faiblesse et nous confronte à nos limites, mais cette croix à vertu pédagogique, nest en rien lhorizon ultime de lÉvangile et de la vie humaine.
Quand de Gaulle vient au secours de la théologie Celle-ci, on le voit, se raconte de bien des manières Elle emprunte des chemins surprenants, au risque parfois de légarement, mais pour scruter de nouveaux horizons !
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Numéro 182 |
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