![]() |
![]() |
|||||||||||||||||||||||||
![]() |
![]() |
![]() |
|||||||||||||||||||||||
|
Un Dieu confessé comme défenseur de la veuve et de lopprimé et qui, tout au long de lhistoire, laisse régner la force, linjustice, lexploitation, ce Dieu-là est peutêtre un Dieu damour, mais ce nest pas un Dieu tout-puissant |
Dabord la toute-puissance de Dieu est démentie dans les faits. Ou plus exactement la toute-puissance de ce Dieu dont nous nous réclamons : Dieu dAbraham, dIsaac, et de Jacob, Dieu de Moïse et de Jésus-Christ, Dieu intervenant dans lhistoire de son peuple et pour lamour de ses créatures. Un Dieu damour qui parfois semble rester impuissant contre les forces de haine nest pas un Dieu tout-puissant. Un Dieu intervenant dans lhistoire de son peuple pour le sauver, et qui une fois, même une seule, abandonne ce peuple à lextermination, ce Dieu-là ne peut être dit tout-puissant. Un Dieu confessé comme défenseur de la veuve et de lopprimé et qui, tout au long de lhistoire laisse régner la force, linjustice, lexploitation, ce Dieu-là est peut-être un Dieu damour, mais ce nest pas un Dieu tout-puissant. Alors je sais bien que je ne suis ni le premier, ni le dernier, à men rendre compte, et que les théologiens de toutes les époques ont développé nombre darguments pour sauver quand même la toute-puissance de Dieu. Je connais lhistoire de la rétribution, où le mal qui frappe les hommes nest que la punition du mal quils commettent. Je connais largument de la liberté de lhomme ; je connais aussi lhypothèse de la permission divine, selon laquelle Dieu ne veut pas le mal, mais le permet, et encore lidée que Dieu éprouve ceux quil aime Mais voyez-vous cher ami, cela ne me convainc pas du tout, et je ne suis pas prêt à tant de circonvolutions théologiques pour sauver la toute-puissance de Dieu. Au bout du compte il me suffit quil soit bon, quil soit aimant et tâche de nous inspirer justice et amour en nos curs et en nos vies. Sa toute-puissance, et même sa simple puissance, ne mintéressent pas.
Je dois ajouter quelles me font peur. Et tout en demeurant croyant, jai été pendant toute ma vie sensible aux arguments de mes amis athées contre les dangers de la religion et contre un Dieu tyrannique qui a si souvent servi à imposer lautorité et le pouvoir des puissants. Cest vrai que ni Dieu ni la religion ne sont seuls en cause, et que certaines idéologies politiques remplissent le même office. Mais jen arrive à penser que la religion est dans tous les cas potentiellement dangereuse, et qua fortiori un Dieu tout-puissant fait courir aux humains que nous sommes des risques que je préfère éviter.
Car qui peut empêcher que cette toute-puissance ne se confonde avec le pouvoir exercé par ses représentants, quil sagisse dun clergé ou dun monarque de droit divin ? Je sais que dans la Bible le partage des pouvoirs entre le prêtre, le prophète, et le roi peut apparaître comme un moyen efficace pour remettre les humains à leur place et rendre à Dieu seul la puissance et la gloire. Je sais aussi que lhistoire de lOccident depuis les débuts du christianisme est traversée par cette question de la séparation des pouvoirs temporels et spirituels, avec les résultats que lon connaît, et notamment la sécularisation du monde. Mais justement, vous pouvez constater que la toute-puissance de Dieu ny résiste pas, et quil semble même avoir perdu toute influence réelle dans les affaires de nos cités. Et je dirais que cest tant mieux. Car là où son nom et sa puissance sont invoqués en politique, la dictature nest pas loin et le fanatisme na pas de limites. À ce propos, cher ami, je vous rejoins quand vous parlez du nihilisme destructeur qui sexerce aujourdhui au nom de Dieu. Ne venons-nous pas den avoir un terrible exemple à Madrid ? Mais comme vous le voyez, je nen tire pas les mêmes conséquences. Vous soupirez après la puissance de notre Dieu ; je me réjouis pour ma part que ma foi soit débarrassée de cette illusion et de ce danger. Je me réjouis que Dieu soit débarrassé de sa puissance. Quelle soit à lui dans les cieux ! Mais sur terre nous avons besoin dautre chose, ne pensez-vous pas ?
Votre dévoué
Max
3 avril 2004 à Bussy
Cher ami,
À vous lire je me rends compte combien jai changé depuis nos lointaines conversations. Il y a peu jaurais pleinement approuvé vos propos, mais aujourdhui je me pose de nouvelles questions, ou plus exactement je retrouve danciennes questions que javais toujours écartées, par confort de pensée peut-être. Celle de la puissance de Dieu, qui métait ces dernières années devenue étrangère comme à vous sinon dans un contexte de discussion où je voulais montrer les défauts de la cuirasse , me revient aujourdhui de plein fouet.
Car si Dieu nest pas puissant, quest-il ? Ou qui est-il ? Sil nest pas, de manière imagée, cette énergie insondable qui crée, transforme, remue, ouvre, époustoufle parle, tonitrue, fait pousser le grain et lever la pâte, et advenir linespéré dans lhistoire humaine qui est-il alors ? Perdant sa puissance ne perdons-nous pas Dieu, tout simplement ? Pour ma part jai peur quil ne devienne quune baudruche que lon tente de regonfler à la pompe des idéologies ou des choix éthiques du moment : le Dieu de lécologie, le Dieu de la paix, le Dieu des pauvres Le Dieu amour, amour, amour comme si lamour nétait pas, dailleurs, une puissance terrible et parfois dangereuse.
Nous sommes toujours entre Charybde et Scylla me semble-t-il. Dun côté le Dieu tout-puissant capté par des pouvoirs humains qui lutilisent à leur gré : tout ce à quoi vous faites allusion dans votre lettre. Mais de lautre un Dieu à qui on a coupé les ailes de la puissance, un Dieu abstrait, un Dieu vidé que lon remplit à son gré de ses propres désirs, de belles images ou encore de bons sentiments. Sil fait moins peur que le premier, est-il moins dangereux ? À première vue oui, bien sûr, car ce nest plus un Dieu qui intervient dans le monde, ce nest plus un Dieu vraiment mouillé dans lhistoire et dans le politique ; cest un Dieu devenu privé, un Dieu qui se contente de chuchoter dans le coin de loreille et du cur un Dieu uniquement bon et aimant. Ce nest plus un Dieu terrible et donc potentiellement dangereux. Mais un tel Dieu apprivoisé ne devient-il pas de plus en plus flou, de plus en plus inconsistant ? Ne se dilue-t-il pas dans notre seule intériorité ? Le danger que je vois actuellement est celui de sa disparition ou de son effacement oh pas dans nos églises, et pas non plus dans nos curs mais nos églises ne se vident-elles pas et nos curs ne deviennent-ils pas timides ? Non, ce que je crains est latténuation, leffacement des traits les plus significatifs de notre Dieu judéo-chrétien dans lhistoire et la culture collectives Car ces traits sont forcément liés à la puissance Et lidée de puissance nous cause aujourdhui une sainte horreur, comme si elle ne pouvait être que malfaisante et quil fallait à tout prix lui préférer une sublime faiblesse !
Pourtant cher Max, notre Dieu judéo-chrétien nest-il pas confessé comme puissant créateur ? Nest-il pas annoncé comme Dieu se révélant dans lhistoire, et y intervenant ? Nest-il pas espéré comme Dieu de la rédemption ultime de toute sa création ? Comment tenir tout cela en renonçant à lidée de puissance, et même allons-y de toute-puissance ? Cela me semble aujourdhui impossible.
Ou alors disons tout de suite que ce Dieu-là nexiste plus, nexiste pas, et na jamais existé que dans lesprit de ceux qui en ont tiré quelque profit. Mais non, car enfin, nest-ce pas notre Dieu ? Le Dieu de nos saintes Écritures ? Le Dieu enseigné et transmis par nos pères ?
« Si Dieu nexiste pas, alors tout est permis ! » disait un des frères Karamazov. Eh bien je suis, cher ami, devant cette terrible question : si nous nassumons plus la puissance de Dieu, dans nos vies et dans notre histoire, nest-il pas à larticle dune mort qui ne saurait être belle, car elle va nous laisser dans le vertige de labandon et de la confusion ? Alors nous serons bien seuls et nous finirons par être écrasés par des responsabilités démesurées. Alors oui, tout sera permis. Pauvres de nous.
Votre Sosthène
NB Je vois bien que je memporte, je memporte, suis-je assez clair ?
Paris ce lundi
Cher Sosthène,
Vous nêtes que trop clair, et ce qui mapparaît en toute lumière, cest que vous oubliez le Christ. Où donc le mettez-vous dans votre vision et dans vos regrets ? Nous en avons déjà parlé : pas plus que vous je ne suis christocentrique, mais quand même, il me semble que vous allez un peu loin dans loubli de la révélation chrétienne. Est-ce que la vie, lenseignement, la personne de Jésus de Nazareth nont pas radicalement transformé notre vision de Dieu ? Que sest-il passé pour vous sur la croix ?
Revenons-en, si vous le voulez bien, à cette impuissance dans laquelle vous me reprochez denfermer Dieu. Car dans le christianisme, elle a une signification tout à fait singulière : autrement dit, cest un lieu de révélation, le lieu où apparaît la figure du Christ, le serviteur souffrant, lagneau quon mène à labattoir, le crucifié. Et la question alors posée est simple : soit Dieu est bien Dieu puissant et donc il se montre « pervers » en envoyant son Fils au supplice, ou en ne le sauvant pas, soit il est pleinement, totalement présent dans cet abaissement, pieds et poings liés si jose dire, et donc impuissant.
Je ne vous cacherai pas que je penche pour cette seconde interprétation et quen cela je me sens proche de ce que Luther dit de la croix En tout cas, votre regret de la puissance de Dieu me semble un pas en arrière dans la théologie. Cest son impuissance qui est convaincante, qui nous apprend quelque chose de tout à fait nouveau sur lui. Même si, et là jentends votre mise en garde, il ne faut pas lenfermer dans cette impuissance, qui deviendrait un nouveau dogme.
Quen pensez-vous ?
Max
Bussy 5 mai 2004
Cher Max,
Limpuissance de Dieu, manifestée dans lévénement de la Croix fait partie de ce quon peut appeler sa puissance, manifestée elle aussi puisque le Christ est ressuscité et la mort est déclarée vaincue. |
À mon tour de vous signaler que vous évoquez la mort du Christ, mais vous oubliez la résurrection, qui, à mon sens en est indissociable. Et donc cette déréliction, cette impuissance manifestée par la croix, pour être réelle nest cependant que momentanée. Cest labîme doù rejaillit le Ressuscité, doù se révèle à nouveau Dieu comme Dieu du Ressuscité. Ce temps de « néant » fait partie du sens de la rédemption. En tout cas il est présenté de cette manière. Et si Jésus sur la Croix néchappe ni à la souffrance, ni à langoisse terrible de labandon, si ses disciples sont livrés au doute et au désespoir, il sagit dun temps qui doit être franchi et dépassé dans ce temps-ci, cest-à-dire notre temps, celui de notre vie et de notre monde. Autrement dit limpuissance de Dieu manifestée dans lévènement de la Croix fait partie de ce quon peut appeler sa puissance, manifestée elle aussi puisque le Christ est ressuscité et la mort est déclarée vaincue.
Mais, cher ami, entendez-vous encore prêcher la résurrection aujourdhui ? Pour ma part, jai limpression quon nose plus dire avec force : « le Christ est ressuscité ; il est vraiment ressuscité ! » Jespère me tromper, mais y croit-on seulement ?
Sosthène
NB Ah joubliais, on chante quand même « À toi la Gloire ! »Heureusement !
Paris 18 mai 2004
Cher Sosthène,
Décidément vous en revenez à une vision assez traditionnelle des choses, mais pourquoi pas après tout, na-t-elle pas, avec des cahots et des bosses, traversé 20 siècles ? Seulement voilà, je me répète, ou plutôt non, je renchéris en mappuyant sur lhistoire comme vous le faites si souvent. Je crois quon ne peut plus faire de la théologie en passant par pertes et profits, en se disant quau bout du compte, tout est bien qui finit bien, et que limpuissance de Dieu nétait quune phase de sa puissance qui a, évidemment, le dernier mot. Pour moi voyez-vous, la restauration finale de Job ne saurait faire oublier labîme des souffrances quil a endurées, les premiers enfants quil a perdus, la nuit quil a traversée Bref, je préfère linconfort du paradoxe à la consolation dialectique.
Et donc, sans vouloir y enfermer Dieu, jen reste quant à moi à ce questionnement sur son impuissance. Dans une lettre précédente, vous me parliez des tragédies du siècle passé. Et bien justement, à leur lumière ou il faudrait dire à leurs ténèbres limpuissance de Dieu mapparaît comme indépassable, ou plus exactement indépassée. Cest là, je crois, que vous invoquiez le nom ou la figure symboliques du diable. Je ne my résous pas pour ma part. Car cette explication est somme toute traditionnelle, et je crois que quelque chose de radicalement nouveau a frappé la théologie. Face à Auschwitz, puisque bien sûr cest de cela quil sagit, Auschwitz comme événement singulier mais aussi comme symbole de tous les événements extrêmes du siècle passé, même lévénement christique a chancelé. Et donc même des théologiens chrétiens profondément croyants ont désormais hésité à donner encore à lhistoire ce sens traditionnel du Salut qui finit par entraîner tout dans sa dynamique. La triste histoire du Carmel dAuschwitz a dailleurs bien illustré cette problématique et cette impuissance aveuglante Il y a sur terre des lieux, il y a dans lhistoire des creux, tels que le nom de Dieu apparaît comme imprononçable. Et si le nom de Dieu lest, a fortiori le nom de son plus fidèle serviteur lest également Car le ciel des hommes est traversé du nuage dimpuissance de Dieu Et cest un nuage noir, complètement noir.
Et même si ce nuage finit par séloigner dans le temps et sestomper dans lespace, il demeure quelque chose dirréparable en nous-mêmes, dans notre histoire, et dans limage que nous avions de Dieu limpressionnante et rassurante image de notre enfance !
Souvent je médite, cher Sosthène, cette phrase de Dietrich Bonhoeffer dans Résistance et Soumission : « Devant Dieu et avec Dieu, nous vivons sans Dieu. Dieu se laisse déloger du monde et clouer sur la croix. Dieu est impuissant et faible dans le monde, et ainsi seulement il est avec nous et nous aide. »
Jen suis là, jen reste là, je ne puis aller mon chemin plus avant pour linstant.
À vous
Max
Bussy le 2 juin
Cher Max,
Vous en restez là ! Mais le monde peut-il en rester là ? Et nos enfants, et les générations futures peuvent-elles en rester là ? Que doit-on leur transmettre ?
Comme vous jai éprouvé, et jéprouve encore au plus profond de moi-même limpuissance, ou labsence de Dieu. Et donc ne pensez pas que je minimise cette expérience. Ne pensez pas non plus que je cherche à restaurer artificiellement une puissance de Dieu qui nous permettrait de mieux respirer.
Croyez-moi, Max, de mon point de vue, lexpérience de limpuissance de Dieu est lexpérience spirituelle la plus profonde et la plus terrible qui soit. |
Le danger vient quand dune expérience spirituelle on tire une doctrine, et cest là quelque chose de fréquent dans le christianisme. Le danger vient quand de lexpérience de la puissance de Dieu on tire un dogme sur le Dieu tout-puissant. Mais le danger vient aussi quand de lexpérience de limpuissance de Dieu on tire une affirmation systématique du Dieu impuissant. Car les conséquences sont graves, la plus grave étant quau bout du compte on a honte de lui, on a honte de croire en lui, et on ne prononce plus son nom que du bout des lèvres, ou bien on cesse de prononcer son nom ! Et on le laisse à dautres, à ceux quon dénonce ou quon moque comme illuminés, fanatiques, fondamentalistes Mais je ne vais pas me répéter ; je vous ai déjà dit tout cela auparavant.
Croyez-moi Max, de mon point de vue lexpérience de limpuissance de Dieu est lexpérience spirituelle la plus profonde et la plus terrible qui soit. Et je ne puis mempêcher de la rapprocher des témoignages rendus tout au long des siècles par certains mystiques : témoignages de labsence de Dieu, du néant de la foi. Mais aujourdhui, cette expérience spirituelle est le lot de tout chrétien plongé dans lhistoire avec toute sa chair et la prenant au sérieux avec tout son cur et toute son intelligence.
Seulement il me semble quon ne peut faire cette expérience que si lon na pas renoncé pleinement à lidée, à lespérance, que Dieu est puissant. Car pour celui qui aurait renoncé à la puissance de Dieu, lexpérience de son impuissance ne pourrait être que normale. Si nous nattendons rien de Dieu, quelle importance cela a-t-il quil soit impuissant ? Or cette expérience a un caractère extrême ; elle ne peut être banale. Si elle est authentique, elle est forcément singulière, tragique, déchirante.
Pour ma part, je my suis plongé par la lecture de nombreux écrits et de témoignages de penseurs juifs qui ont été confrontés à la terrible question « Où Dieu était-il pendant la Shoah ? » Et en écho à la si belle parole de Bonhoeffer que vous mavez confiée dans votre dernière lettre, je vous recopie ces lignes écrites par une jeune femme juive dAmsterdam Etty Hillesum dans son livre journal écrit entre 41 et 43, où elle fut déportée Une vie bouleversée :
« Jessaierai de vous aider, Dieu, à stopper le déclin de mes forces, bien que je ne puisse en répondre à lavance. Mais une chose devient de plus en plus claire à mes yeux : à savoir que vous ne pouvez nous aider. Hélas, il ne semble guère que vous puissiez agir vous-mêmes sur les circonstances qui nous entourent, sur nos vies. Je ne vous tiens pas non plus pour responsable. Vous ne pouvez nous aider, mais nous, nous devons vous aider à nous aider, nous devons défendre votre lieu dhabitation en nous jusquà la fin. »
Cher Max, quand un être humain se découvre à ce point responsable de Dieu, nest-ce pas comme croyant, désespérément croyant quil eût dû en aller autrement, et quil en ira autrement ? Alors une brèche souvre, et une puissance inédite se lève : la pure et humble puissance dêtre présent. Cette puissance est celle de loffrande et de la responsabilité. Elle est, cette puissance qui sinscrit dans le cur, les mains, la vie de certains témoins, comme la douloureuse trace de la puissance, paralysée ou absente, de Dieu, le lieu où elle doit se cacher, à linstant déternité où la Bête de la confusion et de la haine sempare du monde et semble gagner la partie
À vous, ami bien cher
Sosthène
Bussy le 6 juin
Cher Max,
Je me suis réveillé cette nuit avec lenvie de compléter ma dernière lettre. Et donc je nattends pas que vous mayez répondu. Vous ne pouvez savoir combien notre échange épistolaire de ces derniers mois ma rasséréné, même si les temps que nous vivons ne laissent de minquiéter. Car il y a une douleur propre à la pensée quand on ne parvient pas à la mettre au clair en soi-même. Et le vis-à-vis avec lami que vous êtes pour moi a permis cette clarification. Cette nuit donc, je vois mieux. Oh il ne sagit pas dune illumination particulière, mais dune sorte de paix du cur et de lesprit. Ce à quoi jai échappé en réalité, spirituellement sentend cest à lalternative entre la tentation réactionnaire et le vertige de labsurde.
Je crois donc aujourdhui fermement que Dieu ne nous abandonne pas et quil ne nous a jamais abandonnés. Le ciel nest pas vide, le cur de lhomme nest pas le berceau dillusions mensongères, et ses mains ne portent pas à elles seules le poids terrible du monde. Je ne dirais peut-être plus que Dieu est puissant, comme une qualité quon lui attribue ou quil sattribue, mais quil est puissance. Et cette puissance nous dépasse dans linfiniment petit comme dans linfiniment grand. Cest le tremblement violent du Sinaï et la brise légère perçue par le prophète Élie. Elle traverse notre histoire de telle manière quon ne peut déceler ses effets qua posteriori. Dieu est puissance de création, de transformation, dillumination, de joie, de rédemption. Tout est possible !
Cher Max, ce que jai simplement à dire au fond cest que jai retrouvé le souffle et lespace suffisant pour redire « Me voici ». Et que ce consentement sadresse bien au Dieu de nos pères, Dieu retrouvé, Dieu dAbraham, dIsaac et de Jacob, de Moïse et de Jésus. Enfin je vais pouvoir à nouveau raconter les histoires de la Bible à mes petits-enfants. Car je naurai plus peur de leurs questions.
À vous, ami. Ne viendriez-vous pas passer une semaine à Bussy ? Nous marcherions ensemble autour du lac. La nature est si belle en ce moment.
Sosthène
Et Moïse dit à Dieu
: « Voici, quand je serai venu vers
les enfants dIsraël et que je leur aurai dit : le
Dieu de vos pères ma envoyé vers vous,
sils me disent alors : quel est son nom ?
Que leur dirai-je ? » Dieu dit à
Moïse : « Je serai qui je serai.
Cest ainsi que tu répondras
aux enfants dIsraël : Je
serai ma envoyé vers
vous. » Exode 3,13-14
Bienvenue |
|
|
Numéro 180-181 |
|