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« Le témoignage faible dont je parle est une manière d'être présent qui n'en impose pas, ouverte, disponible, où l'on reçoit autant que l'on donne. » |
De plus, il paraît peu probable quun tel positionnement géographique soit pertinent aujourdhui : que signifie cette quête dune place cohérente et reconnue dans un monde occidental qui, lui, est éclaté, qui na plus ni délimitations précises, ni repères clairs, ni centre du tout ? Nietzsche, déjà, lappelait une « anarchie datomes ».
Notre monde occidental ressemble à lanneau que Clarisse, lun des beaux personnages de Robert Musil, lauteur de Lhomme sans qualité, ôte de son doigt et contemple, tel quel, vide, sans contenu, sans centre. Cette image nous offre, en un saisissant raccourci, la vision de notre monde occidental, de son unité et de sa totalité perdues. « La totalité vient à faire défaut, souligne Claudio Magris, parce que fait défaut le lien qui devrait pénétrer toutes ses parties et les rassembler en un tout ; le lien vient à faire défaut aussi et surtout à lintérieur du sujet Lindividu ressemble à la métropole anonyme, sans structure, ni lien, décrite par Musil et qui apparaît comme un tissu dhétérogénéités, dirrégularités, de déséquilibres, de contrastes et de dissymétries. » (LAnneau de Clarisse, Paris, LEsprit des Péninsules, 2003, pp. 16-17).
Penser un témoignage affaibli ne signifie pas avoir quelque complaisance envers un monde quil nous faudrait séduire. Cela veut dire essayer de mettre en cohérence notre témoignage avec un monde occidental post-métaphysique, post-positiviste, post-idéologique, le monde de la pensée faible, selon lexpression de Gianni Vattimo dans La Fin de la modernité ; nihilisme et herméneutique dans la culture postmoderne (Paris, Le Seuil, 1987). Ce témoignage chrétien affaibli nest pas une relativisation, encore moins un abandon de ce qui nous fonde et nous anime, mais une façon de devenir vraiment humble et sans puissance. Il pourrait être le plus fidèle des témoignages, comme le suggère le même Gianni Vattimo dans son dernier ouvrage, Après la chrétienté. Pour un christianisme non religieux (Paris, Calmann-Lévy, 2004).
De même quune pensée faible est plus attentive, plus tolérante, plus respectueuse de la considérable diversité des pensées et des pratiques de notre monde, de même un témoignage chrétien affaibli, livré aux interprétations, risqué parmi dautres témoignages, est plus ouvert, plus cuménique (avec toutes les religions), plus en relation avec la (les) culture(s) ; en quelque sorte, de plain-pied avec tous nos contemporains, sans exclusive.
De toutes les façons, comme le fait remarquer Gianni Vattimo (dernier ouvrage cité, p. 202) : « Il nexiste pas de modèle de vie chrétienne alternatif à celui que les engagements historiques et toujours contingents imposent à chaque fidèle, de même quil nexiste pas de connaissance de mystères qui seraient interdits aux non-croyants. »
Mais, si, comme je le pense, les chrétiens nont pas de place spécifique, ni de rôle décisif, ils nen sont pas moins appelés à se retrouver aux articulations, aux jointures, où leur rôle serait de bien coordonner et de bien unir ; pour reprendre des expressions de Paul (Eph 4,16 et Col 2,19).
Étant (aux) articulations et (aux) jointures, ils oeuvrent discrètement, simplement, sans chercher à se mettre en avant, ni à se faire particulièrement remarquer.
Cela ne veut pas dire que les chrétiens doivent se cacher.
Le témoignage faible dont je parle, nest pas le refus de toute présence au monde. Cest une manière dêtre présent qui nen impose pas, ouverte, disponible, où lon reçoit autant que lon donne. Elle consiste, non pas à aller vers, comme si nous étions détenteurs et donateurs de vérité, mais à être avec et même à être simplement comme ; comme et avec les hommes et les femmes qui se posent des questions, sinquiètent, ont des problèmes, souffrent, mais aussi qui cherchent, travaillent, veulent avancer, uvrent pour le bien commun.
LÉglise est (au) carrefour, lieu de passage, de rencontre, déchange, et donc de rapprochement et de fraternisation. Un lieu discret, sans autre ambition que de témoigner « quen Christ, tous, vous nêtes plus des étrangers, ni des émigrés ; vous êtes concitoyens des saints, de la famille de Dieu. » (Eph 2,19).
Leur rôle étant de coordonner et dunir, les chrétiens uvrent non pour eux-mêmes mais pour les autres. Ils nont donc pas à mettre en avant leurs convictions, ni à défendre à tout prix leurs positions, que personne ne leur conteste vraiment.
Il ne sagit pas, bien sûr, de rejeter toute confrontation, tout débat.
Le témoignage faible dont je parle, nest,
je lai déjà souligné, ni labandon,
ni la relativisation de nos convictions ou de nos positions. Cest
une manière de les exprimer et de les vivre qui noblige
personne, ouverte, généreuse. Le rôle des chrétiens
est de contribuer, avec dautres, à rattacher, à
relier, à réconcilier, à mettre en jeu les êtres
entre eux. Cest le rôle de ce que les Anglais appellent
un go between, celui qui va de lun à lautre pour
favoriser lécoute, la compréhension, et le rapprochement
de lun et de lautre. Cest le rôle de serviteurs
discrets, qui jamais ne cherchent à accaparer ou à se
comparer : « Comportez-vous
comme on le fait en Jésus
Christ ; lui qui
na pas considéré comme une
proie à saisir dêtre légal de Dieu.
Mais il sest dépouillé, prenant la condition de
serviteur. » (Ph 2,5-7).
« Dominer, c'est dépendre.
»
(18 mars 1834)
Alexandre Vmet, La vérité n'a point de couture.
(Réflexions et aphorismes tirés de ses agendas).
Lausanne, L'Âge d'homme
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Numéro 180-181 |
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