Dans son Divan, Goethe
imagine l'entrée des animaux au Paradis. Il rejoint là
toute une tradition orientale qui donne aux animaux la parole sur les
choses célestes. Ouvre paradigmatique de ce genre est le «
Langage des oiseaux'> de 'Attâr. Comme le dit Marthe Bernus
Taylor, «c'est l'histoire allégorique d'une lon-gue et
périlleuse quête du contact direct et personnel de l'être
avec la réalité supérieure. Les "pèlerins"
sont des oiseaux, auxquels la huppe révèle l'existence
de leur roi, le Sîmurgh qu'ils ne pourront atteindre qu'après
une très long et dan-gereux périple. Beaucoup d'oiseaux
trouvent bien sûr le prétexte pour ne pas se mettre en
route. Seuls reviennent de cette quête de l'unité avec
Dieu trente oiseaux qui se reconnaissent eux-mêmes comme la divinité
et se noient finale-ment en un fana' (dans la tradition sufi: effacement,
disparition) dans le Sîmurgh divin. » (in L'Étrange
et le merveilleux en terres d'islam, Paris, RMN, 2001)
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Il fut promis à quatre
animaux aussi
Dentrer en Paradis,
Ils passent là lannée éternelle
Avec les saints et les justes.
Ici cest un âne qui passe le premier,
Il savance dun pas alerte :
Car Jésus dans la ville des prophètes
Est entré sur son dos.
Dun pas un peu craintif, un loup vient ensuite,
À qui Mahomet avait ordonné :
Laisse cette brebis à lhomme pauvre,
Tu peux prendre celle du riche.
Puis, frétillant, alerte et honnête,
Avec son honnête maître,
Voici le chien qui, avec lui, fidèlement,
Dormit le sommeil des sept Dormants.
Ici enfin, le chat dAbouherrira
Ronronne auprès de son maître et le câline
:
Car cest toujours un animal sacré
Celui qua caressé le prophète.
Goethe, Le Divan
(Le livre du paradis)
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Voici donc assemblés
tous les oiseaux du monde, ceux des proches contrées et des pays
lointains.
Ils
se firent, à mi-voix, ces réflexions émues: «Est-il
sur cette terre un royaume sans roi ? Aucun sauf un, le nôtre,
et cela n'est pas bon. unissons-nous et cher-chons, trouvons enfin celui
qui conduira nos vies. Sans lui, que sommes-nous? une foule sans âme,
un peuple chaotique, un désordre ambulant!» Voilà
ce qui fut dit en bruissements craintifs. Or, tandis qu'ils tenaient
leur pépiant débat, la huppe s'avança au-devant
des plumages. Un espoir impatient avivait son regard. Sur sa poitrine
était inscrit le signe des chercheurs de vie et sur son front
resplendissait la couronne de vérité. Elle distinguait
le bien du mal. Elle connaissait le chemin juste. [...]
Suivez-moi donc, mes beaux oiseaux, et vous Le connaîtrez
bientôt! Jetez au vent ces vanités, ces doutes qui vous
paralysent, détournez-vous de ce démon qui grince en vous
que rien ne vaut. Voulez-vous être délivrés du pesant
souci de vous-mêmes ? Sur Lui seul jouez votre vie. Bien et mal
ne sont que poussière sur le chemin du Tout-Aimant. Jetez au
vent vos vieux habits! Que la route soit une fête, chantez, ne
marchez pas, dansez. Je sais où trouver Sa demeure. Elle est
derrière le mon Kâf. Et je connais son nom: Simorgh.
(Attar, La Conférence des oiseaux, adapt. H. Gougaud.
Paris, SeuiL, 2002)