RencontrerLe pasteur André-Numa Bertrand (1876-1946)
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Les pasteurs A.N. Bertrand, Émile Guiraud, Wilfred Monod et Paul Vergara (photo prise en 1936-37) |
De cette période, nous possédons son « Journal intime », publié dans le bulletin de la Société d'histoire du protestantisme français de juillet-août-septembre 1981, tome 127.
Ce texte offre un très grand intérêt. On y découvre quelqu'un de très humain, on pénètre dans son intimité. Il nous livre ses doutes, ses craintes, ses colères, ses dégoûts pour la veulerie ; il nous dit sa lassitude, ses hésitations devant certains choix qui furent peut-être des erreurs ; mais éclatent aussi sa rectitude, son sens aigu de l'honneur et de la fidélité. Il termine ainsi : « Ceux qui auront été dans la fournaise, qui auront vu la veulerie générale, et qui auront subi la pression des circonstances, et de l'atmosphère comprendront qu'il fallait se raidir si on ne voulait pas être courbé ; et il ne faut jamais se courber que devant Dieu. C'est le mot d'ordre que j'ai voulu garder. »
Il organise la desserte des paroisses avec des effectifs très réduits. Les pasteurs ne reviendront pas tous à Paris. Les finances sont inexistantes. Pendant plusieurs mois A. N. Bertrand préside trois cultes par dimanche Ste Marie, Oratoire et Belleville. Il parcourt Paris et la banlieue à bicyclette ou en métro, il monte les étages sans ascenseurs ; la tension nerveuse et la fatigue physique l'épuisent.
On ne peut tout rapporter de son inlassable activité au service du protestantisme français en zone occupée, de juin 40 à mars 43. Il a toujours agi en accord avec le Conseil de la Fédération Protestante de France et celui de l'Église Réformée, mais sans pouvoir consulter le pasteur Bgner qui se trouvait en zone libre, sûr cependant de son accord tant l'amitié qui les liait était profonde. On trouve le détail de cette activité dans le rapport lu à lassemblée générale du Protestantisme français, à Nîmes en octobre 1945, et à laquelle sa santé ne lui avait pas permis dassister. On ne citera ici que quelques éléments marquants.
Il termine son rapport en regrettant l'attitude de la hiérarchie catholique qui refusa d'entreprendre une démarche commune auprès des autorités d'occupation : « Jai toujours reçu auprès de ces prélats une parfaite courtoisie et bienveillance, mais aussi un refus très net de s'opposer en quoi que ce soit aux interventions des maîtres de l'heure. »
Rentré à Paris en mars 1943, M. Bgner reprend ses fonctions de Président. A. N. Bertrand, tout en restant à ses cotés peut se consacrer davantage à son ministère pastoral de l'Oratoire.
La « Clairière », oeuvre sociale de l'Oratoire fondée en 1910 par Wilfred Monod, dont le pasteur Vergara était le directeur et Mlle Guillemot lassistante sociale, aida au sauvetage de 63 enfants juifs en février 1943 et servit de « boîte aux lettres » à la Résistance. P. Vergara et Mlle Guillemot ayant dû fuir la Gestapo en juillet ne purent assurer la rentrée doctobre. A.N. Bertrand demanda à la Générale Sarrail (veuve du célèbre général de la guerre de 1914-18) dassurer la direction de la Clairière qui ne fut plus inquiétée.
Nous terminerons en évoquant la richesse de sa prédication, qui marquera des générations de fidèles. Un fonds Bertrand existe à la Société d'Histoire du Protestantisme Français, comportant des sermons inédits de la période 1943-46.
Il continua avec joie et sérénité son ministère jusqu'au bout. Nous avons les notes inachevées de sa dernière prédication (29 septembre 1946) : « Éternel je n'ai ni un cur qui s'enfle, ni des regards hautains, je ne m'occupe pas de choses trop grandes et trop relevées pour moi, loin de là. J'ai l'âme calme et tranquille comme un enfant sevré qui est auprès de sa mère. » (Ps 131,1-2)
Son dernier message parut dans le bulletin de léglise de l'Oratoire d'octobre 1946 : « La paix de Dieu qui dépasse toute compréhension gardera vos curs et vos esprits. » (Ph 4,7)
Il mourut le mercredi 9 octobre 1946. Dans son testament il avait laissé un court message destiné à la paroisse : « Je voudrais que l'on dise seulement aux fidèles de l'Oratoire que je sais combien j'ai été inférieur à ma tâche. Mais que je les ai aimés autant qu'il était en moi et que je remercie ceux qui mont aimé. »
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Numéro 177 |
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