Les preuves de lexistence
de Dieu nont jamais convaincu que ceux qui létaient
déjà. Elles présupposent en effet ce que lon
prétend démontrer. La question de Dieu est si fondamentale
que le fait de la poser est en réalité inséparable
dune conscience de Dieu qui précède notre interrogation.
Avoir lidée de Dieu nest pas le résultat dune
démonstration, mais sa condition. Cela dit, les preuves de lexistence
de Dieu ont au moins lavantage de souligner la pertinence de lidée
de Dieu. Croire en Dieu nest pas nécessairement insensé,
comme le pensent certains. Le seul fait que lhomme ne puisse pas
échapper à cette question, quon puisse même
voir dans notre élan vers la Transcendance le propre de notre
humanité, souligne la crédibilité et non labsurdité
de la foi en Dieu.
Il y a un grave danger à vouloir prouver Dieu
: celui den faire une existence comme nimporte quelle autre.
Or si Dieu est compris comme lêtre par excellence, comme
le fondement de tous les êtres, il ne saurait devenir simplement,
au cur de nos raisonnements et discours, un être parmi les
autres. Nous ne devons pas parler de Dieu comme dun objet simplement
constatable et maîtrisable. Nous venons de voir en effet que Dieu
nest lobjet de nos pensées que parce quil en
est dabord le sujet. Dieu est toujours plus que « Dieu »
; il est au-dessus ou au-delà de tous nos mots, de toutes nos
paroles, de toutes nos pensées à son sujet. Quand je dis
« Dieu », ce nest déjà plus Dieu que
je dis. Comprendre Dieu serait le dominer, doù la nécessité
des symboles dans tout langage religieux qui se veut respectueux de
la Transcendance.
De toute façon, si lon parvenait à
prouver lexistence de Dieu, il ny aurait plus de raison
de croire en lui. On ne croit pas ce qui est démontré,
on le sait. La meilleure manière de refuser la foi en Dieu consiste
donc à prouver son existence. Lathéisme ne revient
pas seulement à contester lexistence de Dieu, mais aussi
à affirmer Dieu dans le cadre dun savoir pareil aux autres.
Cest la raison pour laquelle, Paul Tillich écrit ces mots
à première vue déroutants : « Dieu nexiste
pas. Il est lêtre-même au-delà de lessence
et de lexistence. En conséquence, prouver que Dieu existe
revient à le nier. » (Théologie systématique
II)
Dieu relatif
Dieu, le Dieu de la Bible, nest pas absolu au sens
où nous entendons le plus souvent ce mot. Il nest pas un
absolu immobile et fixe, embaumé dans son éternité,
rejeté au début de lhistoire de lunivers au
point quil ne nous concerne plus. Nous parlerons alors de lexistence
de Dieu pour dire son histoire avec nous, pour dire et redire le Dieu
de Jésus-Christ, pour exprimer le paradoxe dun Dieu, qui
sest manifesté dans celui que Wilfred Monod aimait appeler
« le héros des évangiles », qui a «
marché, lutté, souffert et chanté parmi nous »
(Charles Wagner). Parler ainsi de lexistence de Dieu nous situe
sur un registre tout autre que celui des preuves de lexistence
de Dieu ou de celui qui nous conduit à voir en Dieu le fondement
créateur de tout ce qui est, lêtre par excellence
que ne saurait caractériser, par conséquent, une simple
existence. Ce Dieu-là, ce Dieu des Écritures et de lÉvangile,
est un Dieu pour lhomme et avec lui. « Avec » est,
à bien des égards, le mot le plus important de toute la
Bible. Il raconte en effet Dieu avec lhomme, lhomme avec
Dieu et chacun de nous avec lautre ; il exprime lamour de
Dieu et du prochain. Dieu devient alors celui dune rencontre,
dun dialogue possible, en un mot : dune relation. Il faut
percevoir tout ce quil y a de positif dans laffirmation
selon laquelle ce Dieu en relation est par conséquent un Dieu
relatif, à savoir, précisément, en relation avec
nous. Il est très significatif que, daprès lévangile
de Matthieu, Jésus ait reçu le surnom dEmmanuel
(Mt 1,23) qui veut dire Dieu avec nous.
Le Dieu de la Bible est Transcendance, parce quil
est mouvement, dynamisme créateur et en marche. Il est plus juste
alors de soutenir quil devient que daffirmer quil
est. Dailleurs, le verbe être nexiste pas à
proprement parler en hébreu. Cest donc un contresens de
traduire, comme on le fait fréquemment, le fameux texte dExode
3,14 par les mots suivants que Dieu adresse à Moïse : «
Je suis celui qui est. » Pour la Bible, justement, Dieu nest
pas ; il advient, il se révèle, il intervient ; il nest
pas en soi, parce quil est avec nous. Il est très intéressant
de voir que Chouraqui traduit ainsi ce passage de lExode : «
Je serai qui je serai. » Par conséquent, Dieu nous échappe
et il devient. La différence faite ici entre être et devenir
nous renvoie à ce Dieu qui nest pas le Dieu absolu et pétrifié
de nos définitions, de nos preuves ou de nos raisonnements, mais
le Dieu vivant de la Révélation, qui existe pour et avec
lhomme. La vision biblique ne nous présente pas un Dieu
qui est, mais un Dieu qui est en marche, totalement étranger
aux conceptions dune divinité figée avec laquelle
on le confond trop souvent, quand on postule un Dieu absolu. De toute
façon, ce que Dieu est en soi nintéresse pas la
Bible ; cela est hors de notre portée, impénétrable
; il faut, selon Calvin et au cur de notre foi, en être
profondément conscient, si lon ne veut pas être victime
dune sorte de curiosité malsaine et sacrilège.
Dieu nexiste pas encore
On demanda un jour à Ernest Renan si Dieu existait,
il répondit très finement : « Pas encore ».
Il suffit douvrir les yeux et nos journaux pour voir que Dieu
nexiste pas
encore. Tant que la paix, la justice, la vérité
et lamour ne règnent pas sur cette terre, pouvons-nous
véritablement admettre que Dieu existe, que Dieu existe en plénitude
? La seule réalité de lEsprit Saint nexprime-t-elle
pas dailleurs lidée dun Dieu dont la Révélation
nest pas achevée, dun Dieu en devenir, dun
Dieu inséparable de lespérance ? Si Dieu était
vraiment déjà celui qui gouverne notre monde, il y aurait
de limpiété à vouloir changer létat
des choses sur notre terre. Or nous luttons avec Dieu et pour lui en
combattant pour transfigurer le visage ensanglanté de lhistoire.
Si Jésus nous apprend à demander à Dieu «
Que ta volonté soit faite sur la terre », cest bien
parce que Dieu ny règne pas totalement. Cette requête
et ce programme daction, cet appel, seraient sinon parfaitement
absurdes et contradictoires.
Cest parce quil en est ainsi que Wilfred
Monod déclarait que Dieu est à venir.
Cest dans son livre Aux croyants et aux athées,
quil développe le plus nettement la thèse selon
laquelle la toute-puissance de Dieu est ultime et non première.
Dieu nest pas encore entièrement manifesté : il
vient, comme le dit lApocalypse. Il sera. Un jour, affirme Paul,
il sera tout en tous (1 Co 15,28). La Révélation de Dieu
dans lhistoire nest pas encore achevée. Dieu nest
donc pas tant la cause initiale du monde que sa cause finale. La manifestation
suprême de Dieu est devant nous. Cela dit, que Dieu existe en
plénitude nous concerne et dépend aussi de nous. Croire
en Dieu ne nous conduit pas sur les chemins de la passivité et
de la résignation. Cest pour cela que Wilfred Monod affirmait
que prier, cest exaucer Dieu, cest-à-dire mettre
tout en oeuvre pour que sa volonté soit faite et se réalise.
W. Monod écrit : « Il faut que toutes nos facultés
deviennent les complices de son avènement, les alliées
de sa cause. » Et cette cause nest pas gagnée davance.
Lêtre humain nexiste pas encore
Là aussi, il suffit de regarder autour de nous
pour penser que lhomme nest pas encore lêtre
humain. Théodore Monod (fils de Wilfred Monod) aimait à
souligner la jeunesse de lhomme, son apparition récente
dans lhistoire de lunivers, dont nous ne constituons quune
infime partie et une minuscule étape. Il faut, par conséquent,
laisser à lhomme le temps de shominiser. Si lhominisation
est une expression des paléontologues, Théodore Monod
entendait aussi ce mot dans un sens philosophique. « Shominiser,
cest sortir de notre sauvagerie ancestrale, nous débarrasser
de notre héritage préhistorique, et acquérir une
nouvelle stature morale. Devenir des Hommes, avec un H majuscule. »
(Terre et Ciel. Entretiens avec Sylvain Estibal). « Lhomme
est une espérance de Dieu », a écrit magnifiquement
le pasteur Charles Wagner. Chaque fois que je prêche, jai
cette citation devant les yeux. Quel rappel enthousiasmant et quel appel
! « Mais, écrit Théodore Monod, le primate, la veut-il
vraiment cette difficile, cette héroïque hominisation ?
Est-il décidé à devenir un homme ? » Dieu
et lêtre humain sont possibles ; non pas de manière
inéluctable, dans une sorte de progrès nécessaire
et inexorable des civilisations, mais dans un combat toujours à
reprendre.
Laurent
Gagnebin