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Et nous, que disons-nous de Jésus

par Fabien Ouamba

Cette question est une interprétation et une adaptation de celle que Jésus avait posée à ses disciples à Césarée de Philippe et aux approches de sa mort prochaine. En chemin, il interrogeait ses disciples : "Qui suis-je, au dire des hommes ? lis lui dirent : Jean le baptiste ; pour d'autres Elie pour d'autres, l'un des prophètes". Et lui leur demandait : "Et vous, qui dites-vous que je suis ?" (Marc 8/27-29).

Jésus a ainsi demandé ce que les gens disaient en général de lui et surtout le point de vue personnel des disciples. On constate que la réponse correspondant à l'opinion publique est collective et anonyme alors que celle des disciples est individuelle, nominative et constitue une confession de foi. Ne peut ainsi dire qui est Jésus que celui qui l'a suivi, écouté et obéi, celui qui a été son catéchumène. La question de Jésus, d'abord ouverte à tous, devient particulière, existentielle et va faire du répondant un Catéchète parce qu'il devra retransmettre, l'enseignement reçu et surtout dire qui est Jésus pour lui, le disciple, témoin, penseur et communicateur de ce qu'il sait de Jésus.

Nous avons dans cette démarche une méthode (partir du général au particulier), une interpellation. Les disciples ne communiqueront pas seulement ce que les autres disent, ce que "on" dit mais ils doivent se prononcer eux-mêmes, se démasquer, se démarquer et se singulariser. Une exigence enfin parce que celui qu'il doit répondre personnellement le fera dans son propre langage, dans sa vision des choses et en fonction de son contexte.

Cette démarche de Jésus nous intéresse dans notre contexte de chrétiens africains et d'une école de formation (non seulement des confessants de Christ mais surtout des catéchètes de Christ aujourd'hui) dans une Afrique qui fait partie d'un monde en mutation. Au Cameroun particulièrement, pendant plus de cent cinquante ans ; les missions et les Eglises ont formé des catéchumènes de Christ. Depuis 50 ans, l'Ecole de théologie de Ndoungué fait partie des institutions de formation qui s'efforcent de faire de certains de ces catéchumènes des catéchètes. Comment passent-ils de ce qu'on leur a dit de Christ à ce que eux-mêmes de manière réfléchie, disent de Christ ? Cette question pousse le chrétien africain d'aujourd'hui, les institutions de formation théologiques africaines en général et de Ndoungué en particulier à faire cette auto-interrogation Et nous, que disons-nous de Jésus ?. De manière déductive, nous pouvions dire que l'africain doit dire ce que tout le monde a dit partout et toujours pour se montrer chrétien. Mais si partant de son expérience personnelle et contextuelle et de manière inductive, l'africain devrait donner sa réponse, celle-ci sortirait des chemins battus et ferait appel à ce qu'il convient de nommer aujourd'hui la théologie de contextualisation.

Notre problème sera alors de savoir si la théologie contextuelle peut aider le chrétien et le théologien africain à donner une réponse originale, personnelle et engageante au Christ de tout le monde et de tous les temps. Nous nous efforcerons de rechercher la pertinence d'une telle théologie pour la christologie dans notre contexte africain.

Jusqu'à une époque très récente, pour être chrétien, il fallait passer par le catéchisme protestant ou catholique. Tous ces livres de doctrines sur le Christ venaient de l'Europe ou d'Amérique du Nord. Ils étaient élaborés dans une culture et s'imposaient dans une autre comme la seule Vil norme et la seule possibilité d'accueillir ou de parler du Christ. En toute naïveté, par ruse1 en toute sincérité ou en toute responsabilité, nous avons connu le Christ par le moyen de ses catéchismes. Ils avaient pour but de nous modeler dans le moule du chrétien de partout et de toujours. Mais cet archétype ne pouvait ressembler qu'au chrétien selon les vues, les expériences et les préoccupations des auteurs de catéchismes de Luther, de Calvin, de Heidelberg, de Rome et de tous ceux qui n'avaient du monde que la vision « d'un objet statique qui n'a qu'à être expliqué, » 2. Comme nous rappelle David J. BOSCH, « Traditionnellement au moins depuis l'époque de Constantin, la théologie était faite d'en haut et représentait une entreprise élitiste ( ... ), sa source principale (en dehors de l’écriture et de la tradition) était la philosophie et son interlocuteur principal le non-croyant lettré ... »3. Ainsi pour voir le Christ, il fallait utiliser les lunettes des autres et pour le confesser, avoir recours à leur langage.

Il en est autrement avec la théologie contextuelle. Formalisée vers les années 70, elle se veut une théologie d'en bas, comme une expérience et une réflexion ayant pour interlocuteur les pauvres, les faibles, les culturellement en marge, les exploités et les opprimés. Elle donne la priorité à la praxis. Théologie de circonstance et de situation, on distingue néanmoins la tendance culturelle (indigénisation, traduction et inculturation) et socioéconomique évolutionniste (théologie politique et théologie du développement) ou révolutionnaire (les théologies de libération).

La théologie contextuelle exige :

  • 1) une prise de conscience comme passage de ce qui est pensé par l'autre à une appréciation, de la situation par soi-même, sujet pensant.
  • 2) une certaine distance voire rupture avec ce qu'on a toujours accepté sans en avoir fait une expérience et tirer des conclusions personnelles.
  • 3) une recherche, récapitulations et mise en valeur de ses propres potientialités ou de celles qui sont à sa portée.
  • 4) l'effort pour adapter, indigéniser et introduire l'Evangile dans la culture (inculturation) ou pour transformer les structures existantes, opprimantes, exploitantes ou injustes (théologie de libération)
  • 5) le souci et la préoccupation de faire de l'Evangile le cœur de l'existence de l'individu ou du groupe dans un lieu et un temps donné et en sorte que le croyant devienne un disciple, témoin, militant et missionnaire du Christ de manière consciente et responsable.

Ainsi le théologien de la contextualisation n'est pas seulement un consommateur de ce que «on » lui dit de dire sur le Christ mais celui qui intériorise et exprime consciemment sa confession de foi à partir de son expérience de la rencontre avec le Christ et dans son contexte historique, culturel et socio-économique. Aussi, la relation entre théorie et pratique n'est pas une relation de sujet à objet, mais une relation d'intersubjectivité4. D'une certaine manière, le contextualiste allie les théologies déductive et inductive et peut ainsi donner ce que Paul TILLICH appelle la méthode corrélative5 Après avoir vu ces exigences de la théologie contextuelle, il nous faut maintenant voir si la confession de Jésus comme le Christ peut être contextuelle.

Une confession de foi contextuelle

La théologie contextuelle est une exigence de prendre en compte aussi bien les réalités locales que le message évangélique. Les recherches historico-critique ont permis la prise

de conscience des distances historiques, géographiques et culturelles qui nous séparent du Jésus de l'histoire et de ce que nous en disent les Evangiles. Nous apprenons aussi à tenir compte de l'espace et du temps qui existent entre les traditions qui ont véhiculé le message évangélique et nous. Nous découvrons alors qu'il y a plusieurs possibilités de voir les textes bibliques et les images qu'ils nous donnent du Christ. Il apparaît alors qu'il nous faut les interpréter pour les comprendre. Et c'est dans un contexte précis que chaque croyant en particulier fait cette interprétation, en fonction de son être et de son avoir, de sa relation existentielle à Christ, dans la relation et la distance, dans une rupture et une reprise dans la tension sans laquelle il ne saurait être catéchumène et catéchète.

Il devient évident que les chrétiens africains, tout comme ceux des autres continents ont reçu l'Evangile de Jésus-Christ dans leur Contexte6. On peut alors trouver l'expression de la confession de foi de nos chrétiens à travers les prières, les chants, les dessins, les sketches, la littérature et les prédications. Elles ne sont pas en elles-mêmes une théologie mais elles peuvent et doivent constituer l'objet des recherches théologiques. C'est à partir de ces expressions populaires que nous pouvons découvrir le Christ tel qu'il a été reçu, ce que nos peuples disent de lui dans leur situation et ce qu'il représente pour eux.

Quelques théologiens ont commencé à être attentifs aux confessions de Christ en Afrique7. Le collectif des chemins de la christologie africaine note que Christ n'et plus un étranger en Afrique. On parle de lui dans la littérature et dans les villages. On voit en lui le chef, l'Ancêtre, l'Aîné, le Maître d'initiation ou le Guérisseur. Les communautés, les jeunes ou les femmes parlent de lui, chacun selon ses attentes et ses aspirations. Dans Christ d'Afrique, KA MANA fait une analyse de ces représentations de Christ selon les Africains. Le Christ devient alors le symbole de nos rêves, l'identité culturelle perdue et à retrouver, des rêves de la libération de nos misères et des oppressions de toutes sortes, de nos rêves de renaissance et de reconstruction. La multiplication de la littérature de théologie d'inculturation, de libération ou de reconstruction montre le souci des Africains de ne plus être seulement les catéchumènes mais aussi les confessants et catéchètes de Christ8.

On peut constater que les Africains passent à une expression de ce que le Christ est pour eux. Le Christ n'est plus seulement l'affaire, la propriété des autres, il devient celui-là qui entre dans leur histoire et fait route avec eux. Les Africains arrivent à un niveau où ils ne croient plus parce qu'on leur a dit de croire. Comme les Samaritains à la femme samaritaine les Africains peuvent et disent déjà à ceux qui leur ont apporté l'Evangile « ce n'est plus à cause de ce que tu as dit que nous croyons, car nous l'avons entendu nous-mêmes, et nous savons qu'il est vraiment le Sauveur du monde » (Jn 4/42). Aussi pouvons-nous entendre les jeunes chanter: « A notre tour soyons prêts à témoigner devant tous que Jésus notre Seigneur est le Fils du Dieu vivant.»

Et nous, que disons-nous de Jésus ?

Il s'agit de nous chrétiens d'aujourd'hui qui avons entendu, restitué et répété jusqu'à présent le témoignage des autres. Il s'agit aussi de nous chrétiens africains qui avons reçu l'Evangile dans une situation d'esclavages, de colonisés et de néocolonisés mais aussi de l'Afrique de l'espoir de la conviction du salut pour tous en Jésus-Christ, des bâtisseurs dans le présent d'un avenir pour une Afrique coreponsable avec Dieu et les autres continents du monde comme création de Dieu. Il s'agit enfin de nous comme institution de formation des formateurs des catéchètes pour christ.

Fabien Ouamba

Extrait du texte présenté au Colloque pour 50ème anniversaire de l’école de Théologie.

1. Cf Achille MBEMBE : Afrique lndocile. Christianisme, Pouvoir et Etat en société postocoloniale. Karthala, 1988. Pp. 75-94.

2. David J. BOSCH : Dynamique de la mission chrétienne. Haho-Karthala- Labor et Fides 1995. P. 569.

3. David J. BOSCH: Opcit P. 568.

4. David J. BOSCH: Opcit P. 570.

5. Paul TILLICH : Théologie systématique. Planète, 1970. Tome 1. Pp. 123-134.

6. Cf Marinus de JONGE : Christology in context. The Earliest christian Response to Jesus. The Wetminster Press Philadelphie, 1988. Pp 15-30.

7. Chemins de la christologie Africaine. Desclée 1986 et KA MANA: Christ d'Afrique. Karthala-cetaclé-haho. 1994.

8. Voir entre autres : APPIAH-KUBI KOFFI et TORRES Sergion (éd. Libération ou adaptation. La théologie africaine s'interroge (colloque d’Accra). L'harmattan, Paris, 1979.

BIMWENYI KWESHI : Discours théologique négro-africain. Problème des fondements . Présence Africaine, Paris, 1981, Jean Marc ELA : Le cri de l'homme africain. L'harmattan, Paris, 1980 ; Ma foi d'Africain, Karthala, 1985 ; Le Message de Jean-Baptiste. MEINRAD HEBGA : Emancipation d'Eglises sous tutelle. Essai sur l'ère post missionnaire. Présence Africaine, Paris 1976. KA MANA Foi Chrétienne, crise africaine et reconstruction de l'Afrique. Sens et enjeux des théologies africaines contemporaines. CETA/HALO/CLE 1992

9. Alléluia recueil des chants des moniteurs du culte d'enfants, nouvelle édition, chant N°21.

Evangile et Liberté – n°136

 

 

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