Elle part à la fois dune
acceptation et dune critique de la position existentialiste.
Elle estime que le salut annoncé par lEvangile signifie
et implique que le décès ne constitue pas la fin de
notre existence. Ce salut ne se réduit pas à la vie
après la mort. Il a de multiples aspects. Dieu nous sauve de
toutes les négativités qui pèsent sur notre existence
et qui essaient de la détruire : la négativité
de la faute et de la culpabilité, celle de labsurde ou
de linsignifiance, celle des puissances sociales, politiques
et économiques du monde (cf. Paul Tillich, Le courage dêtre
(1952), Tournoi, Casterman, 1967). Le salut veut dire le pardon, le
don du sens, la libération. Il comprend également la
victoire sur la mort. La résurrection des défunts ne
résume pas à elle seule le message de lEvangile
ni nen constitue le centre, mais elle en fait partie intégrante,
elle est un des éléments de ce centre. Ceux qui prétendent
que le message évangélique ne concerne pas lau-delà
ont tort.
Il faut bien reconnaître que nous ne disposons daucun
savoir sur ce qui suit le décès. Si lon pouvait
le connaître et se le figurer, ce ne serait justement pas un
au-delà. Nous ne savons pas comment les choses se passeront
ni ce qui arrivera. Les conceptions traditionnelles ont le défaut
de vouloir en dire trop. Bultmann a parfaitement raison quand il dénonce
le caractère non seulement hasardeux et illusoire, mais pernicieux
et pervers de toutes les représentations de lau-delà.
Pourtant, on ne peut pas se satisfaire du silence ni se borner à
laffirmation du fait, sans rien dire de son comment,
attitude quon pourrait illustrer par ces quelques vers dun
poème de Marie Luise Kaschnitz : Croyez-vous, ma-t-on
demandé, / A une vie après la mort ? / Et Jai
répondu : oui. / Mais alors que nai pas su / Dire / A
quoi ça ressemblait / Là-bas ( Ein Leben
nach dem Tode , in Kein Zauberspruch. Gedichte, Franfort-sur-le-Main,
Insel Verlag, 1972, P.119).
A première vue, il y a beaucoup dhonnêteté
et de sagesse dans ce propos. Il présente toutefois deux inconvénients.
Dabord, quand on se contente ainsi de laffirmation
nue du fait, on donne très souvent le sentiment quil
sagit dune parole vide, convenue, sans contenu, prononcée
pour la forme. Nous sommes des êtres de parole, et ce qui ne
sexprime pas dune manière ou dune autre dans
le langage disparaît de notre horizon, sévanouit
de notre existence. Ensuite, en se taisant, on crée un vide
où viennent se loger des images et des superstitions de tout
genre. Nos silences favorisent le succès dune littérature
de basse qualité et qui nest pas toujours inoffensive.
Il faut donc éviter deux pièges : dabord, de parler
de lau-delà comme sil était objet de savoir,
ensuite, de le passer sous silence. Entre ces deux écueils,
il existe une voie, celle de lévocation, autrement dit
dun discours qui ne présente pas une théorie,
mais des symboles (au sens de Tillich), explicitement reconnus comme
tels et qui nous donnent ce que Calvin appelle un goût
ou un petit goût de lau-delà.
Le Nouveau Testament utilise principalement deux symboles, celui
de la résurrection des corps et celui du Royaume. Il ne faut
pas les prendre à la lettre, les interpréter littéralement,
essayer den déduire une description de lau-delà.
La tradition chrétienne la parfois fait dans sa prédication,
dans sa théologie et dans lart quelle a inspiré
; elle est alors tombée dans labsurde Mais si ces symboles
ne dépeignent pas lau-delà, on peut cependant
en tirer quelques enseignements
- a) La vie après la mort vient toujours dun acte
de Dieu qui nous la confère. Notre destinée et notre
nature se terminent normalement par le décès. Il nexiste
pas en nous quelque chose qui, par nature, échapperait à
la mort, quelle serait incapable datteindre et demporter.
Le symbole de limmortalité de lâme, quà
de rares exceptions près la Bible évite, a linconvénient
de présenter la vie éternelle comme une qualité
qui appartiendrait à une partie de lêtre humain,
et non comme un don quil reçoit de Dieu
- b) Le symbole de la résurrection des corps est le plus
fréquemment utilisé dans le Nouveau Testament. Paul
nous interdit de le prendre à la lettre, en employant lexpression
corps spirituel (1 Cor. 15, 14) qui indique bien quil
sagit dune corporalité que nous ne pouvons pas
nous figurer. Ce symbole comporte deux indications : dune
part, que notre finitude persiste dans la vie éternelle ;
nous y restons des êtres limités, comme nous le sommes
dans la vie présente, par notre corps. Il ne faut pas concevoir
lentrée dans lau-delà comme une sorte
de divinisation qui nous ferait participer à lessence
divine. Nous sommes des créatures et nous le demeurerons.
Ensuite, que notre identité ou notre personnalité
ne disparaissent pas. En effet, notre corps fait de nous des êtres
distincts, reconnaissables, séparés des autres par
une frontière nette et formant une unité. Mais en
parlant de corps spirituel , le Nouveau Testament souligne
quune transformation profonde sopère. La vie
éternelle ne consiste pas seulement dans le prolongement
ou la continuation de la vie actuelle ; elle est une autre forme
dexistence.
- c) Du symbole du Royaume, de la nouvelle terre et des nouveaux
cieux, on peut tirer un autre enseignement, celui du caractère
universel, cosmique de la vie éternelle. Elle ne concerne
pas seulement lindividu, mais le monde tout entier
- d) Le Nouveau Testament ninvente pas les symboles quil
utilise. Il les emprunte aux cultures et aux religions de lépoque,
principalement, bien sûr, à celles du bassin méditerranéen.
Cependant, il ne les reprend pas tels quels, il les modifie. La
principale transformation quil effectue consiste à
leur donner comme centre le Christ ; il sen sert pour proclamer
le Christ et expliquer sa personne et son uvre. Cest
de lui et par lui que vient la vie éternelle ; elle est son
uvre et nous la recevons dans la foi en lui.
Les chrétiens ne devraient-ils pas tenter une opération
analogue avec le thème de la réincarnation qui connaît
actuellement un grand succès dans le monde occidental. Au lieu
de se demander sil sagit ou non dune représentation
biblique (cf. Geddes MacGregor, Reincarnation as a Christian Hope,
Londres, Macmillan, 1982), ne feraient-ils pas mieux de la reprendre
et de la transformer en la centrant sur le Christ, de sen servir
comme dune possibilité de langage pour dire lEvangile
? Mais, dautre part, on constate que la Bible na pas repris
toutes les représentations de lau-delà quon
trouve dans le monde ambiant ; elle en a adapté voire adopté
certaines et en a laissé dautres. Tout langage, toute
image na pas la capacité de dire lEvangile ; la
réincarnation en serait-elle incapable ?
André
Gounelle
La mort et lAu-delà
Editions Labor et Fides.
Collection Poche Diffusion Le Cerf