La conférence de Benoît XVI à l'Université
de Ratisbonne est un événement qui, en toute hypothèse,
fera date. Elle est aussi importante que le fut, en son temps, le voyage
de Jean-Paul II en Pologne. Ces deux papes non-italiens auront accompli
des actes décisifs et retentissants de leurs pontificats lors
de voyages symboliques dans leurs pays respectifs. La masse populaire
en Pologne, le prestige universitaire en Allemagne. Le poids insupportable
du régime politique imposé par l'occupant séculaire
d'un côté, celui de l'Islamisme dans la société
turque immigrée en Allemagne de l'autre. Autrement dit, en face
d'un problème à résonance mondiale, urgent, le
pape trouve dans sa patrie d'origine un appui naturel et nullement superflu.
Son intervention peut être contestée, mais la dernière
hypothèse raisonnable serait bien celle d'une «gaffe».
Elle peut tout au plus embarrasser la Curie romaine, voire sa partie
sur l'échiquier politique du Moyen-Orient.
Faire ces observations n'est pas approuver l'argumentation du Souverain
Pontife. Il condamne le Siècle des Lumières et le Libéralisme
du XIX° siècle, on ne saurait attendre autre chose d'un pape,
ni de l'ancien et redouté Cardinal Ratzinger. Plus: il est bon
de se positionner entre les extrêmes, entre fondamentalistes et
rationalistes, et la séquence qui met en cause le djihad se situe
dans ce contexte. Enfin il le fait avec des accents d'émotion
qui peuvent éveiller sympathie et respect, à défaut
de l'assentiment.
Pour le Protestant français que je suis, le discours du pape
représente une occasion nouvelle, succédant à bien
d'autres, de rappeler notre identité originale héritée
de l'Histoire. Il est trop méconnu que sa relation à l'Islam
en fait partie. Les Pères du Protestantisme français ne
sont pas les Réformateurs, mais les martyrs. L'Institution de
Calvin fut d'abord un plaidoyer pour la cause des martyrs, pour la povrette
église, afin de n'être pas trouvé lâche et
déloyal. Or cette situation rencontra sympathie et respect en
terre d'Islam.
Le Journal du galérien Jean Marteilhe l'atteste de façon
émouvante. Les théologiens du Réformisme musulman
à la fin du XIX° siècle également, notamment
le Cheikh Abdou. La Guerre d'Algérie aussi; dans son livre «Pasteur
en Algérie», Elisabeth Schmidt raconte comment, à
l'approche de l'Indépendance, redoutée par les Français,
sa femme de ménage la rassurait: Il n'y aura pas la Barthélemy
!
Il y a peu d'années encore, en 2002, un professeur d'université
iranien fut condamné à mort pour en avoir appelé
à une réforme de l'Islam s'inspirant du Protestantisme.
Or les maîtres musulmans qu'il citait en référence
étaient précisément ceux du Réformisme du
XIX° siècle.
Qu'il soit donc dit, une fois encore, que la position protestante
française est spéciale. L'Islam fut une hérésie
chrétienne dont le Chef a formé une grande religion. Il
y avait à l'époque d'autres religions chrétiennes
hérétiques au Moyen-Orient, persécutées
par le Catholicisme constantinien, et elles ont mis plusieurs siècles
à se situer définitivement, par rapport à l'Islam,
du côté chrétien. La Liberté de conscience
existait dans l'empire turc alors que les Protestants étaient
persécutés dans l'Europe Catholique, et l'on oublie que,
dans la conversion des Turcs à l'Islam, c'est le vainqueur qui
adopta la religion du vaincu.
Cela dit, d'éminents orientalistes, au premier plan d'entre
eux ceux de langue allemande, ont renouvelé le débat sur
les origines de l'Islam. Certains aujourd'hui encourent des dangers.
Comme le rappelle une tradition islamique utilisée comme introduction
à la célèbre traduction du Coran par Régis
Blachère: Quiconque traite du Coran et est dans le vrai, est
cependant en faute.
Les intellectuels musulmans ne sont pas les derniers à souhaiter
reprendre les débats de fond, éduquer la masse à
l'esprit critique. Bien sûr, ils ont raison. Mais la critique
la plus accessible à la masse est d'abord l'Histoire. Le Protestantisme
fut persécuté. L'Islam a connu la Liberté de conscience.
L'espoir est permis.
Laissons ici le dernier mot à l'écrivain musulman Amadou
Hampaté Bâ, dans Oui mon Commandant. Placé
devant un dilemne difficile, Tout à coup une parole du Prophète
Mohammad me revint en mémoire. Un jour il avait dit à
ses compagnons: Aucun croyant ne doit quitter cette terre sans avoir,
au moins une fois dans sa vie, violé la shari'a (loi islamique)
au nom de la pitié.
Maurice Causse